Un texte d’Alain Guyard
Mise en scène Dominique Fataccioli
Tout d’abord, le titre ne semble pas compatible avec le bonhomme. Physique massif, visage carré orné d’une moustache broussailleuse, voyou, pilier des quartiers de haute sécurité, révolutionnaire, anarchiste devenu écrivain lors de ces 25 années de détention (le tiers de sa vie), voilà qui, d’emblée, écarterait toute possibilité d’accorder une once de sensibilité mielleuse à Charlie Bauer, né en pleine seconde guerre mondiale dans le misérable et sauvage quartier de l’Estaque à Marseille. Mais tout individu, aussi rugueux soit-il, se voit toujours traversé par des moments d’humanité. Le parcours de Charlie est en cela significatif. Une enfance passée dans la précarité (les égouts n’avaient pas encore été installés dans cette partie de la ville), a de fortes chances de déboucher sur une précocité adulte, à coups de débrouillardise assumée, surtout lorsque l’on a en charge quatre frères et sœurs délaissés par un père résistant qui a pris le maquis. Baigné dans le communisme pur et dur dès son plus jeune âge, Charlie va faire sien les principes de survie les moins conformes en choisissant non pas une éducation prélude à un boulot assommant et à un salaire minable, mais la subversion. De simples chapardages pour aider sa famille, il basculera à l’attaque de train de marchandises et même au vol d’armes à destination du FLN. On comprend dès lors que Charlie n’est pas le criminel classique qui roule au carburant de l’enrichissement personnel mais bien celui qui redistribue le butin dans les quartiers populaires de sa ville. Il sera finalement arrêté en 1962 pour des cambriolages nocturnes et sera condamnée à une peine démesurée de vingt ans, sans doute plus motivée par les idées de ce Robin des Bois que par les faits.
Le spectacle est d’abord le fruit de la rencontre entre Charlie et Renée, sa professeure de français, qui au terme d’un échange épistolaire suivie de fréquentes visites en prison deviendra son épouse. C’est l’amour avec un grand A. Mais lequel préfère vraiment Charlie ? Celui de cette jeune femme aux idéaux révolutionnaires classiques ou celui de la Révolution, le vraie, la violente, celle que peut uniquement concevoir l’esprit d’un homme qui aura croupi neuf années consécutives en QHS dans l’isolement le plus total « luttant et luttant encore pour ne pas sombrer dans la folie» ?
L’auteur de la pièce, Alain Guyard, défini par Daniel Mermet comme un « philosophe forain », dispense des cours loin des conventionnels salons et universités, leur préférant les prisons, les centres sociaux, les maisons du peuple ou autres hôpitaux psychiatriques. Proche des marginaux, ou plutôt des exploités, il ne pouvait que s’intéresser au cas de Charlie Bauer. Son texte, loin de n’être que la mise en place appliquée d’une histoire d’amour contrariée, la transcende littéralement pour aborder au fond le sujet qui lui tient à cœur : l’insurrection perpétuelle. Son omniprésence scie les barreaux et enflamme les âmes. Contrairement à Mesrine, qu’il côtoiera un temps, lui causant une nouvelle incarcération, Charlie cultive un anti-machisme et un végétarisme à l’opposé du célèbre truand.
Pour faire prendre corps à un tel personnage, un comédien comme Hervé Fassy à la carrure imposante et à la voix tonitruante est parfait. Lorsqu’il apparait sur scène dans la pénombre d’une geôle, la silhouette découpée par des lumières tranchantes, ce n’est pas l’homme ordinaire, mais le lion en cage, maître des lieux, indomptable et féroce. La comédienne Laurence Preve lui apporte une voix divergente, plus douce, raisonnée.. La forme donnée à l’action est dépassée, obsolète et sépare violemment les époux. Le temps, justement, est l’ennemi et il leur en reste peu. Les idéaux sont bien présents. Il faut juste les affirmer autrement, par les mots, ce que Charlie s’empressera de faire en décrochant plusieurs diplômes en prison. Mais il sait au fond de lui-même qu’il n’en aura jamais fini avec son premier amour.
Mis en scène et en lumière par Dominique Fataccioli, le couple de comédiens (à la vie comme à la scène) est brillamment dirigé, incarnant avec force les personnages de Renée et Charlie pris en étau entre deux amours, l’un désirant, l’autre dévorant. La lumière, considérée par Laurence Preve comme le troisième personnage, souligne une ambiance ténébreuse, sèche et coupante, mais offre par instants une couleur érotique et charnelle, ouvrant un moment de grâce et d’espoir qui ne se refermera pas.
Mais laissons le mot de la fin à Charlie lui-même : Je suis un très mauvais père et mari. Je n’ai qu’une femme, c’est la Révolution, mais putain ce qu’elle baise bien !»
©Photos Jean-Paul Cotte
Mise en scène et scénographie :
Dominique Fataccioli
Auteur :
Alain Guyard
Distribution :
Hervé Fassy – Laurence Preve
Musique :
Tense of fools
Costumes :
Eliana Quittard
Conception et visuels :
Jean-Paul Cotte
https://www.youtube.com/watch?v=SC0bRAdQvuM
Vu au Théâtre Toursky à Marseille le 14/02/2020
Compagnie Pleins feux
BP51011 – 13781 AUBAGNE CEDEX
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