Britannicus Magic Circus

de Pierre Lericq

Noir ! … Après l’annonce du monsieur Loyal (un spectacle monstrueux pour ceux que nous sommes) Aggripine accouche. Dans l’obscurité, un monstre engendre un monstre monstrueusement :

-Mais qu’est-ce qui traîne derrière moi ? Braille la mégère.

-L’enfant ! Le cordon ombilical, n’a pas été coupé. Répond la voix du monsieur Loyal.

 

Départ en fanfare pour Britannicus au cirque, mais pas celui des jeux antiques, non, un cirque d’aujourd’hui (avec chapiteau, cages aux fauves et trapèze), ou à peu près, puisque nous sommes en mai 68 avant notre ère, le genre d’époque où tout fout le camp, et par dessus tout les vieilles et rigides règles morales.

 

Ambiance popu et bariolée -on sent la frite et la barbapapa- pour cette parodie joyeuse d’un classique de la littérature dans la pure tradition des Epis noirs s’il vous plaît, celle d’un déboulonnage fantasque et furieux des mythes fondateurs (l’histoire de l’Humanité, l’histoire de France pour les précédents spectacles). Encore que… montrer que l’oeuvre prête aussi aisément le flanc à la parodie penche plutôt vers l’hommage.

 

Et en effet, quelle matière ! Au moment d’épouser celle que les intrigues criminelles de sa mère lui destinent pour régner, Néron se rebiffe. Il désire tout: et l’empire et la fiancée de l’autre, Britannicus, son demi-frère d’un premier mariage et héritier légitime à qui l’on laissait l’amour comme prix de consolation. L’outrage de trop pouvant tout compromettre. La mère de Néron enrage, seule dans sa baignoire où son fils ne vient plus l’honorer.

 

Lancez sur la piste des acrobaties incestueuses, sous quelques paillettes romanesques (Néron enlève la promise de Britannicus, il emprisonne ce dernier) et les Epis noirs se saisissent de l’intrigue dans une délicieuse irrévérence, à fond de train.

 

Les parodies, souvent, se complaisent et s’embourbent dans la facilité et le ricanement ; pas ici. La truculence et l’insolence le disputent à la poésie. L’esprit est bon enfant malgré toutes les horreurs dans lesquelles on patauge (on louche un peu du côté du “Rocky Horror Pictures Show”). Magie des gestes de comédiens sculptés comme les acrobates d’un conte onirique ; tout leur est ouvert, jusqu’aux calembours les plus potaches. Même quand c’est con, c’est drôle !

 

Photos: Olivier Brajon

Avec: Jules Favre, Pierre Lericq, Fanny Lucet, Gilles Nicolas, Tchavdar Pentchev
Marie Réache

Texte, mise en scène et musique originale: Pierre Lericq
Lumières: Julien Bony
Son: Jules Fernagut
Costumes: Chantal Hocdé Del Pappas
Assistante mise en scène: Manon Andersen

Festival Off d’Avignon 2022. Théâtre du Balcon à 19h55 du 7 au 30 juillet – Relâches : 12, 19, 26 juillet

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LE JOUR DU MISTER

de Bruno Leydet

Mis en scène par  Bruno Leydet et HVP
Interprété par : Margaux Lapersonne

Rose, cadre débordée et quelque peu condescendante, organise comme chaque année sa Saint Valentin : le 14 février avec le mari… et le 13 en compagnie de l’amant, son « Mister day », équivalent féminin du « Mistress day » qu’on nous présente comme une pratique bien connue aux Etat-Unis (est-ce vrai?).

La petite dame, un rien pimbèche, semble bien organisée, donc. Mais rien ne va se passer comme prévu et le grand principe qui dirige sa vie, hérité de papa (« Ne choisis rien, petite, ramasse tout ! ») se trouvera soumis à rude épreuve.

Un seul en scène étonnant à plusieurs titres. D’abord, l’intrigue, typique du théâtre de boulevard, qui fait se rencontrer les mauvaises personnes au mauvais moment au mauvais endroit et multiplie les déboires de l’héroïne jusqu’à la catastrophe finale. Pas de gras dans le texte ; chaque détail et personnage apparemment secondaire revient plus tard soutenir l’intrigue. Le héros malheureux ensuite, qui en miroir de Feydeau et son époque devient une héroïne : l’épouse. La femme reprenant à son compte la revendication de la double morale et du devoir du plaisir.

Margaux Lapersonne sait rendre la suffisance de ce Moulineaux (le « Tailleur pour dames » de Feydeau) au féminin et l’on attend avec plaisir le moment de la voir s’enfoncer. La comédienne gagne aussi le pari de faire exister la galerie des personnages secondaires.

Un mélange des genres réussi.

du mardi 19 juillet 2022 au samedi 30 juillet 2022 à 13h00 (relâche les lundis)

Théâtre Le Vieux Sage, 34 rue de la Carreterie, 84000 Avignon

L’Heureux Tour

Auteur et interprète: Jean-François Balerdi

« L’heureux tour « ! Le titre parlera aux amateurs du genre, celui des jeux de mots puisque c’est la veine que cultive Jean-François Balerdi depuis toujours. Et s’il nous annonce son « comic out », c’est parce qu’il s’agit d’une première au festival d’Avignon, « le plus grand théâtre du monde » (dixit les organisateurs du OFF). Dans son Sud-Ouest, les facéties verbales du personnage sont déjà bien connues. C’est aussi parce qu’aucune version DVD de son spectacle n’est éditée ; courez le voir, c’est sur scène qu’il déballe tout.

Et il est heureux, donc, Balerdi. Heureux, lui « qui « se soigne par les planches », de retrouver le public après l’interruption du Covid auquel un texte est d’ailleurs habilement consacré. Les jeux de mots de Balerdi dépassent en effet le choc sonore des circonstances ; porteurs de sens, faiseurs d’images, ils participent à la construction d’une histoire. Le principe: détourner les semences d’un champ lexical pour les cultiver dans un autre. Dans sa version de la longue histoire de l’Homo-sapiens avec la terre par exemple, il file de bout en bout la métaphore d’un passager de la « Planète-Airlines ».

Balerdi nous parle avec finesse des thèmes qui le touchent : le racisme par exemple avec un premier texte sur le racisme (« Racines ») où il est question d’arbres jaloux de leur nouveau voisinage exotique. Il nous raconte son parcours, sa passion du théâtre en passant par quelques hommages aux humoristes qui l’ont inspiré, révérence appuyée aux grands de la scène française… et plus subtile (sous la forme de clins d’oeil langagiers aux québecois) envers son maître en jeu de mots : Marc Favreau, figure éminente qui hante encore la scène québecoise avec son personnage de Sol.

Abondance de mots ne nuit pas : les pirouettes verbales sont nombreuses et il faut les saisir. Tous les spectateurs ne rient pas aux mêmes endroits. Mais tous rient, ou sourient.

  • Auteur et interprète(s) : Jean-François Balerdi
  • Régisseur : Pipo Guillet
  • Regard extérieur : Patrick Moglia

Au théatre Albatros (29, rue des Teinturiers 84000 – Avignon)
Du 6 au 30 juillet à 12h45 – Relâches : 12, 19, 26 juillet