MONSIEUR DE POURCEAUGNAC

Comédie Molière

Mise en scène : Anna Cottis

 

“Huitième comédie ballet de Molière, Monsieur de Pourceaugnac a été créée et représentée le 6 octobre 1669 pour la première fois à Chambord pour le divertissement de Louis XIV à l’occasion d’une fête de chasse. La musique pour cette comédie ballet en trois actes a été écrite par Lully et les danses orchestrées par Beauchamp.” Voilà pour la grande histoire, quant à l’intrigue, elle est simple et classique : un père préfère à Eraste  l’amoureux de sa fille Julie,  la fortune d’un provincial du Limousin Monsieur de Pourceaugnac. Mais bien entendu  nos amoureux feront tout pour sauver leur union. Ceci  en faisant appel à des figures des bas fond tout droit tirées de la comédie italienne, l’ingénieuse Nérine et le fourbe Sbrigani qui ne se gênent pas pour singer les notables pour mettre à bas le choix du père.

Nul orchestre où ballet pour servir cette  pièce non politiquement correcte aujourd’hui comme hier mais le  chant polyphonique,une  guitare,le rap et l’interactivité avec le public  pour se substituer aux mélopées baroques  de Lully et à la pompe de la cour de Louis XIV.

Une actualisation qui a garder la verdeur de ses attaques  à cette pièce politique car force est de constater l’originalité de cette dramaturgie dans laquelle Molière  se sert de ses héros pour dénoncer l’idiotie et la fourberie des puissants, la ruse et l’abus de pouvoir des gens en place, médecins, notaires, créanciers …

Nous voilà en selle prêt à rire des ruades de ce cheval fou, ce théâtre dans le théâtre, cette folle machination qui a pour mission de désarçonner notre  provincial dans un tourbillon d’inventions aussi fantasques qu’hilarantes.

Au-delà de la thématique amoureuse et de la critique des mariages arrangés, cette pièce n’est-elle pas une exploration de  la folie de celui qui abdique son libre arbitre lorsqu’il se trouve en terre inconnue, ballotté  de droite et de gauche par l’opinion des savants, des gens en place et de la rumeur qui enfle  ? Au-delà de la farce, Monsieur de Pourceaugnac distille une critique acerbe de la médecine de son époque qui n’est pas sans rappeler la nôtre avec ses protocoles hasardeux et les expérimentations du big pharma  sur des patients devenus  cobayes malgré eux.

La mise en scène d’Anna Cotis nous plonge dans un univers en lévitation avec une esthétique intemporel qui relève plutôt de la théâtralité pure avec ses masques et ses décors symboliques. Ici un univers situé entre le monde de l’enfance où le castelet du théâtre laisse surgir d’inquiétant chirurgien du corps et de l’âme et celui de l’adolescence avec ses provocations musicales, son rap pourfendeur et son insolence irrévérencieuse que permet le théâtre masqué et son animalité aux accents libidineux qui sait réveiller le rire de l’enfance.

Une équipe de comédiens et de comédiennes dont l’éventail des talents ne se limite pas au jeu car ici ça joue, ça chante avec truculence  … deux femmes et deux hommes pour interpréter une multitude de rôles qui font de cette mini production une super  production qui explose le cadre intime de la comédie saint Michel.

Mise en scène : Anna Cottis
Avec: Erwan Bineau, Agathe Boudrières, Marco Del Nero, Thibaut Kizirian, Claire Mathaut, Mélanie Surian, Marie Surrel, José-Luis Vivallo.

du samedi 16 octobre 2021 au dimanche 2 janvier 2022
à la Comédie Saint-Michel (95, Boulevard Saint-Michel, 75005 Paris)

Monsieur de Pourceaugnac

 

AUDIENCE

Texte: Vacla Havel
Mise en scène: Nikson Pitaqaj

 

Une scénographie simple et efficace: un bureau, deux chaises, une caisse de bières, une pancarte en cours d’installation avec un slogan publicitaire, un tantinet absurde, presque une devise de vie: « Où la bière se brasse, rien de mal ne se passe. »

Un brasseur sous pression incite un ouvrier, écrivain “politique” sous surveillance à se dénoncer, quitte à se créer des crimes imaginaires, pour satisfaire les caciques du régime.
Vaclav Havel dans cette pièce allégorique à l’humour grinçant se prête au jeu d’inversion des statuts: la brute imbécile fait la leçon à l’humble instruit. Loin de la caricature c’est néanmoins un théâtre de personnes aux traits tranchés qui s’affrontent dans ce bureau qui cristallise les affres de la sournoiserie d’un système. Il y a quelque chose qui frise le duo de clowns entre ce patron et cet employé “modèle”: Le gros et le petit, comme des Laurel et Hardy, s’évaluant dans un jeu de miroir déformé. Un paillase colère, envieux maltraitant avec la menace qui se loge aussi bien dans le silence que dans l’éructation. Un clown blanc résigné qui garde une ligne de conduite irréprochable pour au moins sauver sa dignité dans cette histoire de dupe.

Une mise en scène sobre, précise, intense, sans fioriture où les péchés capitaux suffisent à faire la part belle au spectacle : l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie, la gourmandise, la colère, la paresse tournoient dans un bal de paroles ivres. Un travail organique des acteurs qui fuit la caricature et permet au spectateur d’accéder à la complexité psychologique de ces êtres plongés dans la tourmente d’une situation qui les dépasse.

On vous convoque pour vous écouter mais vous n’avez rien à dire de particulier. Votre empathie vous pousse assez naturellement à vous identifier à Vanek, l’ouvrier poète, et vous devenez le spectateur de celui qui vous a convié. Vous guettez ce qu’on vous reproche , mais ce qu’on vous reproche principalement, c’est qu’on a rien à vous reprocher …

Vous n’aimez pas la bière, n’est ce pas déjà une faute ?

Votre dossier est sans remous. N’est ce pas aussi vraiment une faute ?

Mais comment rendre compte d’une pièce qui tient le public en haleine, d’un rire tendu, en état de jubilation, en état de réflexion permanente ?

The thrill disent les américains (pour les blockbusters) pourtant ici on est loin de l’Amérique grandiloquente , petite pièce intimiste du bloc soviétique ce serait plutôt “la trouille” le mot juste; la trouille qui gagne les personnages et qui nous gagne nous aussi avec un rire nerveux.

Cette trouille que l’on éprouve pour l’ouvrier Vanek en face de ce patron abusif. Une brute saoulante qui fait peser les silences comme des notes de musique assourdissantes. Car il y a quelque chose de musical dans cette mise en scène de Nikson Pitaqaj. La musique de la colère et de l’apaisement. Un opéra de chambre où les drames intérieurs explosent à répétition , des envolées lyriques de haine et de mépris où la mémoire éthylique du brasseur tournoie dans une spirale qui cherche sa cible, jusqu’à l’implosion finale qui délivrera les non dits de leurs secrets. Une partition d’émotions habilement , distillé par Henri Vatin tempéré par les souffles de bonté du compatissant et doux Vanek admirablement tenu par Mirjana Kapor ( la surprise d’une distribution féminine pour ce rôle confère à cette confrontation une inquiétude supplémentaire ouvrant discrètement la réflexion sur la relation homme/femme dans l’espace hiérarchique) .

Deux acteurs intenses qui par leur implication donnent à ce texte doué d’une écriture aux entrelacs complexes, un surplus d’âme jouissif.

« Où la bière se brasse, rien de mal ne se passe. »:

 

 

 

 

 

 

Mise en scène: Nikson Pitaqaj
Création Lumières: Piotr Ninkov
Costumes: Drita Noli

Distribution: Henri Vatin et Mirjana Kapor

Au Théâtre des Barriques, 8 rue Ledru Rollin, 84 000 Avignon du 7 au 31 juillet.
Durée: 1h

Diffusion Sophie Pic : diffusion@libredesprit.net / 06 62 57 71 53

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CORNEILLE MOLIERE, L’ARRANGEMENT

Corneille Molière l'arrangement
Texte: Valérie Durin
Mise en scène: Valérie Durin et Elodie Chanut

 

“Le temps est sorti de ses gonds” Hamlet, Shakespeare 

 

Toujours irrésolue depuis cent cinquante ans court une controverse sur la véritable identité de l’auteur le plus célébré de l’ère élisabéthaine. Dernière étude en date par Lamberto Tassinari : »John Florio alias Shakespeare« , un ouvrage disputé par l’institution.
En France, une autre controverse court sur la véritable identité de l’auteur des œuvres majeures de Jean Baptiste Poquelin alias Molière, amorcée au début du vingtième siècle par Pierre Louis poète et homme de lettres. Les preuves sont plus nombreuses que du temps de Shakespeare, le voyage moins loin et l’ombre du génie prolifique. Ici s’engouffrent dans la bagarre  écrivain, biographe, essayiste, linguiste, machine à calculer…
Personne n’a jamais vu Molière écrire. Un homme si bien entouré ! A part une signature, rien ne subsiste, pas même une correspondance ! Des études que fit Jean Baptiste Poquelin on ne sait rien. Tout ce qu’on sait avec certitude c’est qu’il était devenu le représentant de l’œuvre de Pierre Corneille et qu’il prit pseudonyme après avoir quitté ce dernier à Rouen. Alors Poquelin devint Molière et  se mit à écrire des comédies en rentrant à Paris.  Du jour au lendemain le saltimbanque passa maître en alexandrin.
Et quoi donc, qui oserait  affirmer que  la langue de Molière, notre langue française, serait celle d’un homme qui n’a jamais rien écrit  ? Un Plastic Bertrand du grand siècle ? Un pantin ? On nous aurait trompé ?  Quelle  équation se cache derrière ce vieux serpent de mer : les œuvres majeures de Molière seraient recouvertes et dissimulées par les plumes noires d’une Corneille !? Une fable épique qui mérite bien un fromage…

 

Pour nous régaler, Valérie Durin  a choisi le théâtre et ses moyens : le dialogue, l’action, et la liberté des poètes à imaginer ce qu’aurait pu être la relation de ces deux ogres. Un ton drôle, libre et irrévérencieux qui sied bien à ce pied de nez historique.
Une scénographie dans la pénombre, un bureau dans un décor de notaire où de bibliothèque nationale sur lequel repose des dossiers ficelés, archives entassées sous la lampe verte.  De flash-back en flash-forward, un bureau qui à chaque acte, grince  sur ses gonds,  pour mieux cerner chaque angle de l’enquête. L’actrice, le cul entre deux chaises, incarne où singe tantôt Molière, tantôt Corneille. 
Valérie Durin, dont on perçoit l’érudition passionnée pour ces vies croisées et collaboratives, ne s’est pas  intéressée à transcrire la problématique d’attribution des œuvres sans avoir plongé dans l’intimité des deux hommes. Ainsi les amis , les femmes et les rivaux qui peuplent ce dix-septième siècle surgissent au cœur du récit qui unit le jeune Jean Baptiste  Poquelin, l’apporteur de pièce et sa troupe, à la figure tutélaire de Pierre Corneille ; tuteur, commanditaire, associé… 
Le véritable coup de théâtre de cette proposition de Valérie Durin,  étayée d’indices, de preuves, de solutions ne serait-elle pas l’affirmation du rôle majeur qu’aurait pu jouer les femmes dans le bâti de cette œuvre et notamment celui de la cheffe de troupe : Madeleine Béjart ?…

 

Interprète : Valérie Durin
Créateur sonore: Jean-Marc Istria
Théâtre de l’Atelier Florentin (28, rue Guillaume Puy, Avignon, du 6 au 31 juillet)

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