De Samuel Beckett
Mise en scène Alain Françon
Après de longues années, Alain Françon revient à une des grandes pièces de Beckett. Il avait réussit un spectacle inoubliable avec « Fin de partie », dont l’immense et si regretté Serge Merlin était le phare, oraculaire aveugle.
Dans son Godot, il a su encore s’entourer de comédiens d’exception. Avec lesquels il entretient d’ailleurs un ancien compagnonnage d’artisanat et d’excellence.
Car il faut un duo qui fonctionne pour Estragon et Vladimir, vieux couple, où l’un est l’auguste quand l’autre est le clown blanc. Une constante du théâtre, et une constante du théâtre de Beckett.
André Marcon est Estragon, qui joue de son corps et sa voix de basson. Enfant un peu balourd, étonné de ne pas retrouver les trous de sa mémoire là où il les avait laissés. Veule, et un peu cupide, mais toujours fragile et plein des petites souffrances d’une vie. Une vie qui ne cesse de se replier sur elle-même, ou de nous serrer trop, comme une vielle paire de godasses un peu juste.
Gilles Privat est Vladimir, plutôt contrebasse, de la tenue et un reste d’élégance dans la voix. S’il n’était cette vessie délicate, presque une prestance aristocratique dans la clochardise. Son grand corps, son pantalon trop court, faisant contrepoint amical et comique à la stature plus « sanchopanzaienne » de Marcon.
Basson et contrebasse… Cela n’est pas de hasard, car nous savons à quel point Alain Françon aborde et travaille les textes à la manière d’un musicien. Attentif aux couleurs sonores, aux rythmes, jusqu’au moindre bécarre. Il faut dire qu’avec Beckett il a un compositeur précis, voire obsessionnel quant à l’exécution de sa partition. Mais Françon n’a jamais craint ni la rigueur, ni l’austérité, ni la beauté intrinsèque d’un classique. Il choisit étonnamment ici un rythme plutôt « vivace » et parfois même léger. Il n’appesantit jamais l’émission du jeu, et se prive presque systématiquement des silences, longs ou courts, que l’on entend souvent dans Godot, et Beckett en général. Cela apporte une étrange touche d’allégresse, qui n’en rend pas l’œuvre moins désespérée, mais plus humaine. Comme un petit sifflotement face à l’abîme.
Si Françon est musicien, il est aussi peintre. Avec l’aide de l’œuvre monumental de Jaques Gabel, qui s’était fait remarquer il y a peu dans cette magnifique toile peinte impressionniste de « La seconde surprise de l’amour » de Marivaux, avec Françon bien entendu. Il y allait d’une touche impressionniste, dans des verts figurant l’émotion d’une renaissance de l’amour. Ici la toile vire au noir, entre Soulage et les cieux tourmentés des eaux fortes de Victor Hugo. Une toile qui se confond entre ciel et terre, neige et ténèbre. Françon y dispose ses comédiens comme en autant de tableaux d’une pure théâtralité.
Car c’est cela « En attendant Godot », une pure théâtralité, encore et encore, à recommencer et à presque oublier, à recommencer autant qu’à redécouvrir, jour après jour sur le plateau de la Scala comme dans nos vie si brèves et si longues.
Texte Samuel Beckett
Mise en scène Alain Françon
Avec Gilles Privat (Vladimir), André Marcon (Estragon), Philippe Duquesne (Pozzo), Éric Berger (Lucky), Antoine Heuillet (Un garçon)
Dramaturgie Nicolas Doutey
Décor Jacques Gabel
Lumière Joël Hourbeigt
Costumes Marie La Rocca
La Scala Paris, 13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Date de début : 3 février 2023
Date de fin : 8 avril 2023
Durée : 1h30
https://lascala-paris.fr/programmation/en-attendant-godot/