Bérénice de Jean Racine
Mise en scène Muriel Mayette-Holtz
Trois cœurs dans une chambre, antichambre du pouvoir tyrannique qui veut pour sacrifice le renoncement à l’amour même.
Frédéric de Goldfiem est ce Titus qui pour devenir tout puissant doit céder sur l’essentiel, la femme aimée. Il joue un Titus vulnérable écrasé par le succès comme par un échec, une condamnation. Il sue la faiblesse et la lâcheté, car ici seul le courage des cœurs compte.
Jacky Ido est le troisième, le tiers, le cœur en trop. Fidèle à son amour pour Bérénice et à son amitié pour Titus l’égoïsme de ces deux-là le condamne à l’écartèlement, mais aussi à l’indifférence et au mépris. Il traîne sa grande carrure sur le plateau, comme une forteresse vide, amenant à lui la plus grande empathie du public par sa douceur douloureuse.
Enfin il y a Carole Bouquet, Bérénice à la fois moderne et intemporelle. Elle semble étouffer dans cette chambre depuis si longtemps déjà avant que ne s’ouvre le rideau. Elle sait faire ressentir cette langueur temporelle qui pèse sur tout captif. Au moment où l’accession au pouvoir de Titus doit la libérer de la chambre et de Rome, la laisser respirer enfin, aimer enfin au grand jour, elle sait faire retentir le bruit sec et sourd d’un arbre qu’on abat, lorsque que le démenti d’amour sur elle s’abat. Comme un glaive. Intériorité de grande comédienne.
Il faut aussi reconnaître l’intelligence dramaturgique de Muriel Mayette-Holtz. Avoir retranché certains personnages secondaires, et donc un peu de texte, pour focaliser tout sur ce triangle sentimental. Au point même que la radicalité assumée aurait été de supprimer également Paulin et Phénice, qui n’assurent que des rôles d’ombres face à ces trois feux de l’amour. Intelligence que l’on sent aussi dans la confiance faites aux acteurs et leur jeu, et l’absence « d’idées de mise en scène » qui ferait diversion à ce trio de comédiens. L’on aurait d’ailleurs peut être préféré recevoir leur voix directement émises par leurs poumons, leurs gorges , leur corps vibrant, mais la sonorisation des pièces semble devenir la règle lorsque la jauge excède les deux cents places.
Cela ne nous empêche pas de prendre grand plaisir au texte racinien si souvent honoré pour sa pureté et sa magnificence de style, mais aussi vécu parfois comme plus froid et moins riche en humanité que celui d’un Corneille ou d’un Molière. Bérénice, au regard d’autres chefs-d’œuvre de l’auteur, vaut aussi pour une plus grande proximité de l’alexandrin avec l’émotion pure, une simplicité de vers qui touche au raffinement sans aucune roideur, et qui surprend souvent par son évidence et sa modernité.
Bérénice de Jean Racine
Mise en scène Muriel Mayette-Holtz
Avec Augustin Bouchacourt, Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Ève Pereur
Décor et costumes Rudy Sabounghi
Lumières François Thouret
Musique Cyril Giroux
Durée : 1 h 30
du jeudi 15 septembre 2022 au mercredi 12 octobre 2022, du mardi au samedi à 21h15, le dimanche à 17h30, le 15 à 21h.
La Scala Paris
13 Boulevard de Strasbourg, 75010 Paris
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