L’ART DU RIRE

De et avec Jos Houben

     Qu’est-ce que « L’art du rire » de Jos Houben? C’est tout d’abord Jos Houben lui-même. Pas un personnage non. Jos Houben à la première personne. Où plutôt le spécimen houbenien, un homo houbens, comme il y a un homo faber ou sapiens. Seul en scène, à la fois professeur et cobaye. Son patronyme néerlandais, Houben, provient du nom germanique Hubrecht (de : hughi : intelligence et bertha : brillant). Et cela nous donne un début de compréhension. Son corps ensuite, « 1.80 mètre, belge ». Corps enseignant à l’école Jacques-Lecoq et faisant la poule sur scène. Souci de la cohérence. Donc au total un exposé expérimental, intelligent et brillant de ce qui arrive à un corps quand il perd de sa verticalité. Un exposé théorique qui met systématiquement ce qu’il avance dans le discours à l’épreuve de ce qui chute par la vérification encore et en corps. Et la démonstration fait toujours mouche. Jos Houben est d’ailleurs tranquillement sûr de son coup, et et fait rire sans coup férir. Et si les rires fusent souvent, ils ne sont pas la plus importante des réactions induites. Car finalement il y a chaque soir des salles entières qui rient d’effets souvent plus quantitatifs que qualitatifs.

photo Giovanni Cittadini Cesi

     Le plus intéressant est bien ce sourire d’une heure qu’il crée en nous. Car c’est un sourire d’intelligence, d’éveil et de mise en miroir de notre propre humanité. Houben nous donne à rire sur cette spécificité de l’humain : sa verticalité qui lui tient lieu de dignité, de statut social. Verticalité qu’il doit donc sauvegarder sans cesse, au risque de prêter à rire. Notre clowférencier illustre cela drolatiquement et nous transmet, mine de rien, une compréhension sociologique et politique de l’évènement comique. Un rire contre-pouvoir, un arme de désillusion massive. Un pape se prend les pieds dans le tapis, et c’est le pouvoir qui révèle sa fragilité. Rassurant. Et si le rire naît de la chute des statues de plâtre, Jos Houben, en humaniste, élève sont auditoire d’un savoir-rire, comme l’on ferait d’un savoir-vivre.

De et avec Jos Houben

La Scala Paris , Paris

Du 05 au 22 février 2020

Durée : 1h05

BELLS AND SPELLS

De Victoria THIERRÉE CHAPLIN

Victoria Thierrée Chaplin, Aurélia Thierrée et Jaime Martinez nous invitent à un beau et nécessaire voyage au Théâtre de l’Atelier. Nécessaire car il permet de purger le corps, l’âme et l’esprit de trop de théâtre de texte et d’histoire. Ici pas de texte et une histoire que l’on construit, ou pas, à partir de dérives imaginaires propres à l’inconscient. On suit bien sûr les tribulations fantasmagoriques d’une femme, mais il n’y a de fil que celui d’Ariane qui permet de sortir du labyrinthe. Et cela fait du bien. Beau car ils insufflent en tout la poésie la plus pure et la plus émouvante. Et cela fait du bien aussi, à notre époque où le premier degré est suspect, et la dérision la règle. Ils créent des formes, des gestes, et des images, hybrides, enfantines, magiques. Oui car la magie est un moteur essentiel de leur créativité. Pas une magie époustouflante et spectaculaire, mais baignant dans une atmosphère 1900 qui imprègne tout le spectacle de la nostalgie d’une ère non technologique. Le théâtre d’objet est également à l’honneur. Objets volés, volant, tournant, détournés. Ils se muent souvent en un bestiaire fantastique et inquiétant semblant sortie d’un tableau de Bosch, Dali, ou Magritte. Car la peinture est aussi très présente. La femme devient tableau, ou entre dans un tableau, abolissant toutes frontières entre réel et imaginaire.

Bells and Spells est une œuvre inclassable et mutante. Une merveille surréaliste et burlesque, magique et poétique. Un monde monstrueux et rassurant où on se déplace en dansant pour échapper à toute certitude.

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photos Lucie Jansch

De Victoria THIERRÉE CHAPLIN

Avec

Aurélia THIERRÉE et Jaime Martinez

Chorégraphie Armando SANTIN

Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin 75018 Paris

Du Jeudi 7 mars au dimanche 12 mai 2019

http://www.theatre-atelier.com/bells-spells-lo2640.html

LE SOURIRE AU PIED DE L’ECHELLE

Texte d’Henry Miller

Mise en scène Bénédicte Nécaille

       A treize ans déjà, acrobate, jongleur, monocycliste. Et après encore, peu doué avec la parole, il est corps étrange et céleste. Il est repéré au conservatoire par Antoine Vitez qui lui offre ses premiers pas, muets, sur scène pour incarner « le mouvement » dans son Orfeo de Monteverdi. Un corps circassien, très tôt, et un désir de clown, depuis toujours. En 2017, il déclarait : « Mon plan de navigation intime c’est d’être clown .» « Mon idéal », être ce «  poète de la piste ». On peut dire que Denis Lavant s’est préparé toute sa vie, apprentissage de l’art du clown, pour jouer enfin, être enfin, clown.

Sa création ici est toute à la fois touchante, virtuose, fragile et immense.

Qui d’autre, mieux que lui, pouvait incarner l’Auguste d’Henry Miller ? Lui l’Arlequin, le clochard , l’homme au mille visages, et double de Leos Carax. Sa composition se tresse avec sa vie même, comme une intimité ancienne. Auguste prend un coquillage pour y souffler un air maladroit, c’est dans la poche de Denis qu’il le trouve. Denis qui a toujours collectionné coquilles d’escargot ou coquillages, « dans l’attente ». Fortunes de saltimbanque. Qui est Auguste, le grand Auguste ? Rien, personne. Un masque qui efface, mange, vampirise, celui qui le porte. Un « type  génial », qui écrase ce pauvre et brave type d’Auguste. L’homme de chair. Malédiction du comédien, de l’artiste, disparaissant sous le poids de sa création. Mais après une énième représentation, un énième triomphe comique, le pauvre type se rebiffe et s’enfuit. Recueilli par un autre cirque il découvre, enfin, le bonheur en n’étant plus que lui-même, mais en vie. Jouissant de toutes les étincelles de bonheur. « A votre service ! », se répète-il sans cesse, comme on chantonne la formule magique du bonheur. Vivre dans l’ombre des tâches subalternes, des corvées, mais réchauffé par les sourires reconnaissants, alors il se desséchait sous les feux des bravos. Et puis il y a le sort, et l’embûche, sans lesquels il n’y a pas de clown. L’ironie du sort.

Le clown titulaire, un médiocre Antoine, tombe malade. Pensant pouvoir se muer en Mephisto, il lui impose un pacte : lui laisser sa défroque d’Antoine, pour un soir, et lui l’auguste Auguste, y insufflera son génie incognito. Lui offrant son talent et la gloire. Mais comment être diabolique quand on n’est qu’un pauvre diable ?

Bénédicte Nécaille offre un écrin poétique au comédien. Un barreau d’échelle devient une flûte, un praticable de bois se fait loge éclairée, roulotte…

Sa mise en scène simple et épurée, ainsi que la qualité propre de l’acteur à créer du présent partagé, tout nous suspend, plus d’une heure durant. Jeu, magie enfantine, projections d’ombres et lumières, permettent à Lavant d’accrocher sa nacelle à une lune maquillée sur le lointain.

Nacelle dans laquelle il nous emporte longtemps après les dernières acclamations d’un public enchanté, enfin.

LE SOURIRE AU PIED DE L ECHELLE - Photos de repetition - D apres l oeuvre de Henry MILLER - Adaptation : Ivan MORANE - Mise en scene : Benedicte NECAILLE - Traduction : Georges BELMONT - Avec : Denis LAVANT - Le 02 01 2019 - Photo : Vincent PONTET LE SOURIRE AU PIED DE L ECHELLE - Photos de repetition - D apres l oeuvre de Henry MILLER - Adaptation : Ivan MORANE - Mise en scene : Benedicte NECAILLE - Traduction : Georges BELMONT - Avec : Denis LAVANT - Le 02 01 2019 - Photo : Vincent PONTET

Photos  Vincent Pontet

Texte d’Henry Miller

Mise en scène Bénédicte Nécaille

Interprétation Denis LAVANT

Scénographie, lumière Ivan Morane

Son Dominique Bataille

Ombres Philippe Beau

Costume Géraldine Ingremeau

Théâtre de l’Œuvre : jusqu’au 17 février 2019 à 19h (du mercredi au dimanche)

Théâtre du Lucernaire : 27 mars 2019 – 14 avril 2019 à 19h (du mardi au dimanche)