HEDWIG AND THE ANGRY INCH

Hedwig and the angry inch au Café de la Danse

De John Cameron Mitchell et Stephen Trask
Mise en scène par Dominique Guillo

 

HEDWIG, une star rock méconnue et transgenre, partage avec le public les moments marquants d’un parcours tumultueux qui l’a conduite de Berlin-Est à une ville perdue du midwest américain.  Accompagnée de son choriste et second époux Yitzhak, juif croate, ainsi que de son groupe, THE ANGRY INCH, Hedwig délivre un concert-confession éclectique ; elle parle et chante, mêlant les styles:  hard-rock et punk mais aussi pop-rock et romances country.

Voilà une version française très réussie de la comédie musicale de John Cameron Mitchell  primée à Broadway et adaptée dans de nombreux pays. Réussite tout d’abord dans la scénographie et l’ambiance: celle d’un concert rock. Les spectateurs assistent à l’installation des musiciens et aux derniers réglages en attendant Hedwig, la star. Les musiciens et leurs instruments occupent toute la scène et ça va envoyer: lumières et décibels. Les musiques créées par Stephen Trask et interprétées par Hedwig emportent le public. Brice Hillairet se révèle un véritable chanteur… et son choriste  ne l’est pas moins (on est soufflé quand Yitzhak interprète en solo l’un des titres ; et ce n’est pas la dernière surprise que révèlera ce personnage interprété par Anthéa Chauvière).

Le concert donne surtout l’occasion à Hedwig, entre les titres du concert, de s’épancher sur les heurs et malheurs d’une existence passablement chahutée, en commençant par le Berlin-Est d’avant le mur dont quelques résidus ont échoué sur la scène : une Trabant déglinguée dont les phares s’intègrent aux éclairages du plateau, les musiciens polonais, le choriste croate transgenre (lui aussi), et surtout Hedwig avec son moignon de chair dans l’entrejambe (the angry inch). Le reste d’une opération chirurgicale ratée, qui permit au jeune garçon de jouer la fille de l’air : en épousant un homme qui l’a exfiltrée vers l’Amérique…  Opération ratée, passage à l’Ouest raté puisque le mur est tombé un an après et qu’Hedwig s’est retrouvée abandonnée par son mari dans le parc à mobil-homes d’une  petite ville glauque de l’Ouest américain.

Un monologue, donc, mais pas un Seul(e) en scène tant le déballage de Hedwig adressé à son public s’appuie sur la présence d’un personnage qui parle peu mais qui écoute. Yitzhak reçoit, réagit et relance notamment en ouvrant la porte du fond qui laisse alors s’engouffrer le son de l’autre concert. Un show est en effet donné un peu plus loin, dans un lieu prestigieux (concert géant sur la place de la Bastille, en l’occurence), par Tommy, une star, une vraie mais aussi son ex-amant, le rockeur qui doit son succès aux titres écrits ensemble, dans la bohème du midwest. Hedwig, lui, continue de traîner en parallèle une carrière minable dans les petites salles. 

L’ombre et la lumière, l’Est et l’Ouest, l’homme et la femme, théâtre ou concert… Hedwig saccage les bornes, surnageant dans l’existence avec une bouée gonflée à l’humour corrosif. Le public exulte, certains entonnant par coeur les paroles des chansons de cette comédie musicale devenue culte.

Crédit photos :  Grégory Juppin

Auteurs : John Cameron Mitchell (texte) et Stephen Trask (paroles et musiques des chansons)
Mise en scène : Dominique Guillo

Avec : Brice hillairet, Anthéa Chauvière, Louis Buisset, Antonin Holub, Raphaël Sanchez, Lucie Wendremaiere
Direction musicale: Raphaël Sanchez
Adaptation: Brice Hillairet & Dominique Guillo
Création lumière: Jacques Rouveyrollis
Conception sonore: Christophe Yvernault

Les lundis 18/09 sept ; 23 oct ; 20 et 27 nov ; 11 et 18 déc 2023 au Café de la Danse (5 passage Louis Philippe, 75011 Paris)

ZZAJ

De  et par Mathias Lauriot-Prevost et Augustin Ledieu
Mise en scène : Sandrine Righeschi

 

C’est un studio de radio désuet, un capharnaüm où s’amoncellent toutes sortes d’instruments de musique. Le plafond est percé, et le ploc-ploc de l’eau tombant dans le seau en fer posé au sol fait parfois office de boîte à musique. Les micros placés trop haut et qui s’affaissent régulièrement en rajoutent une couche à l’ambiance déglingue et aux maladresses et ratages des personnages (deux opposés burlesques). Dans ce décor, constitué d’un mélange de kitsch à paillettes et de dessins sur cartons (ou ce qui en semble) des problèmes électriques viennent régulièrement « électrochoquer » les deux protaganistes… qui se relèvent et repartent encore et encore  (à la Buster Keaton). Nos deux clowns, passionnés de musique, tentent coûte que coûte d’aller au bout de leur émission radiophonique, « Voyage au pays du jazz », malgré la terreur inspirée par le public invité ce jour-là dans le studio, par le patron, pour une émission en direct.

Et nous voilà embarqués dans une histoire du jazz illustrée en clowneries et surtout en musique s’il vous plaît. On est époustouflé par le brio du duo : grâce à un système de boucles musicales enregistrées sur l’instant et répétées (puis ajouté de variantes pré-enregistrées car le jazz reste plus complexe que la pop), le musicien (Mathias Lauriot-Prevost) passe d’un instrument à l’autre finissant par constituer un orchestre à lui tout seul, accompagné parfois au clavier de son acolyte (Augustin Ledieu) véritable multi-instrumentiste de la voix. Le présentateur de l’émission, court en effet partout, trébuche, se relève et, à bout de souffle, interprète les grands standards dans le style des interprètes originaux. Il ne s’agit pas d’une simple imitation des célèbres modèles, tant côté musique que côté chant (les moyens n’y sont pas) mais l’énergie et la foi élèvent les deux musiciens presque au niveau de leurs idoles. En tous cas, le public suit ces deux possédés dans leur délire et jubile, touché par la grâce du jazz, cette énergie intemporelle qui transcende les barrières et unit les âmes au rythme de la musique.

Ce spectacle est un concert enragé doublé d’un numéro burlesque et puis triplé d’un résumé instructif de l’histoire du jazz: au fur et à mesure du show, le spectateur entre dans un voyage temporel à travers le jazz. Les mélodies nostalgiques du blues embrassent la vitalité enjouée du be-bop, tandis que les rythmes funky invitent à se déhancher. Nos  deux clowns-musiciens transcendent les genres musicaux, fusionnant les styles avec une aisance déconcertante.

Certainement l’un des tout meilleurs spectacles du Off 2023 (allez! On peut aussi inclure le In). Courrez-y !

 

 

 

 

Festival Off d’Avignon
Théâtre de l’Arrache-Coeur ( 13 rue du 58e Régiment d’Infanterie) 19h55 du 17 au 29 juillet

 

 

 

CYRANO

D’après Edmond de Rostand
Mise en scène : Bastien Ossart

 

Cyrano de Bergerac, épris de sa cousine Roxane mais affligé d’un nez démesuré, accepte à sa demande de veiller sur Christian, son rival, pendant leur campagne militaire. D’une plume étincelante, Cyrano écrit au nom du beau Christian des lettres passionnées, qui vont enflammer le cœur de Roxane. Tragiquement, Christian meurt à la guerre, emportant leur secret avec lui. Dévastée, Roxane trouve du réconfort dans un couvent, où Cyrano lui rend régulièrement visite. Des années plus tard, sur le point de mourir, Cyrano lui dévoile la vérité.

 

Une oeuvre chérie du public, vue et revue par nombre des amateurs de théâtre… ainsi que par les metteurs en scène : adaptations pour comédien seul, en commedia, clown, etc.

Ici, trois jeunes femmes sur le plateau tentent l’aventure d’animer tous les personnages du chef d’oeuvre d’Edmond de Rostand: Dans l’effervescence de  l’hôtel de Bourgogne, d’abord, ce théâtre animé et bruyant où Cyrano interrompt la pièce et défie le parterre, épée en main. Une scène enlevée, où l’art des trois comédiennes nous rassure d’emblée, parvenant à rendre la foule animée ainsi que les nombreux personnages, soutenues par un dispositif scénique évident car au plus proche de l’écriture du texte : un rideau de scène baissé et des comédiennes virevoltant dans les rangs, parmi le public. Cependant, le plus souvent, la mise en scène de Bastien Ossart déstructure et  s’échappe. Ainsi, à l’ouverture du rideau pour la scène chez Ragueneau, pâtissier des poètes, on découvre un plateau quasi nu, délicatement éclairé de plusieurs rangées de lampes en papier posées à même le sol.

Dans cet écrin poétique et raffiné, les trois comédiennes, dansent sur les pointes des sabots de la commedia (masques, adresses public), glissant du registre  comique à celui de l’émotion, se coulant dans la peau de personnages aussi nombreux et différents… que masculins. Ainsi, la tirade du nez est dite et jouée à trois. Un même personnage est interprété tantôt par l’une tantôt par l’autre des comédiennes. Beaucoup de musique, pour le souffle épique ou un soulignement humoristique.

On retrouve les pitreries, clins d’yeux et distanciations ironiques typiques de la Commédia, qui viennent abonder le registre comique de cette « comédie héroïque ». L’on est parfois surpris, notamment avec le personnage de De Guiche, ce puissant ambitieux et bien en cour qui projette de faire épouser Roxane par un sbire afin de se la réserver comme maîtresse. De Guiche est en effet affublé d’un masque simiesque allongé d’un TOC ridicule, seyant peu au personnage dont la noblesse et la magnanimité se dévoileront finalement au siège d’Arras… Mais justement cette scène a été coupée. Pourquoi, ne pas, alors, redessiner différemment le personnage ? 

Ces coupes dans le texte frustrent parfois le connaisseur mais elles ont le mérite de recentrer l’intrigue sur la tragédie amoureuse liant Roxane, Cyrano et Christian. Accordée à la poésie visuelle et sonore de la mise en scène, le choix de jouer et danser de nombreuses scènes de façon chorale, par ce trio de comédiennes formées à la danse et à l’acrobatie, laisse affleurer l’émotion et emporte le spectateur.

Une réussite ! …

Cyrano dans la mise en scène de Bastien Ossart
Cyrano dans la mise en scène de Bastien Ossart

Compagnie Théâtre Les Pieds Nus
Mise en scèn: Bastien Ossart
Interprètes: Lana-Serena de Freitas, Mathilde Guêtré-Rguieg, Louisa Decq
Régisseur: Bastien Ossart

Festival Off d’Avignon
Au Théâtre du Chêne Noir du 7 au 29 juillet (8 bis, rue Sainte Catherine – 84 000 Avignon)
Relâche: 24 juillet.