LA FAMILLE SEMIANYKI

La famille Semianyki

Teatr Semianyki
Mise en scène de la troupe.

Fou, déjanté, frappadingue, furieux, hilarant, extravagant, frénétique, irracontable, poétique, les superlatifs et autres termes nous manquent lorsqu’on assiste à un spectacle des célèbres clowns russes de la famille Semianyki. Dans celle-ci, on y trouve le père (Alexander Gusarov) porté sur la bouteille qui menace sans cesse de tout quitter, la mère (Olga Eliseeva) enceinte jusqu’aux yeux mais nullement gênée pour gesticuler dans tous les sens, et quatre insupportables moutards (Marina Makhaeva, Kasyan Ryvkin, Elena Sadkova et Yulia Sergeeva) qui ne souhaitent qu’une chose, trucider leurs parents pour gagner leur liberté.

La famille Semianyki, clowns sans gros nez rouge et sans masque est une création de la célèbre troupe du Teatr Licedei de St Pétersbourg, fondée par le légendaire clown russe Slava Polounine. Ayant depuis longtemps rangé l’Auguste et le Clown Blanc au rang de vieilleries pour enfants attardés, les comédiens fondateurs ont travaillé autour du mime pour atteindre une forme d’apothéose du genre. Les gestes, les mouvements, la mise en scène, les sons, la musique, la lumière, les effets de plateau, tout est façonné et réglé au millimètre, dans le détail le plus maniaque, de la première minute à la dernière sans aucun temps mort dans un spectacle de presque deux heures ! Un travail de titan qu’ils tournent désormais sur toute la planète.

Alexander Gusarov considère Charlie Chaplin comme un Dieu. On peut le comprendre. Expressifs, ayant banni la parole de leurs créations, la troupe parle le langage universel du corps comique, qui tire vers le slapstick (genre d’humour visuel impliquant une part de violence physique exagérée), le mime dément, l’absurde et aussi dans un bref instant le tragique crépusculaire.

Comment résumer en quelques mots l’inventivité débordante des comédiens, leur rythme sans faille, et leur extraordinaire précision gestuelle ? Il suffit de voir la scène culte dite du bâton de ski où le père tente par tous les moyens de boire une gorgée de vodka alors que ses bras étendus comme des ailes sont bloqués dans sa veste, pour réaliser l’ampleur de leur génie comique. Dans un inimaginable bric à brac d’accessoires en tous genres, de têtes de poupées coupées au verre qui se remplit de bière indéfiniment, la famille se déchaîne dans une succession de scènes toutes plus hilarantes les unes que les autres.

Pourtant dans ce joyeux capharnaüm, qui nous montre quelque part un pays aussi déglingué que ces personnages, tente de surnager l’idée même d’une famille normale dont le besoin des géniteurs est primordial à un semblant de sens dans l’existence. Le père joyeusement porté sur la bouteille ne semble pas assumer la charge de sa nombreuse et surexcitée progéniture. Sa valise est toujours à portée de main. Quand il claque la porte, épuisé et lassé par cette marmaille infernale à côté de laquelle la Famille Addams semble sous Valium, la scène s’assombrit, jusqu’à devenir lugubre. Un terrible moment de solitude s’ensuit où la mère, seule face à ses responsabilités voit ses enfants se recroqueviller autour d’elle, comme des chatons autour de leur génitrice.

Un pur moment de mélancolie et de poésie qui témoigne de la riche palette des Semianyki. Tout comme le quatrième mur qu’ils ont depuis longtemps brisé avec notamment, la scène désopilante du téléphone où la mère en réponse à un coup de fil, passe de mauvaise grâce le combiné à un spectateur dans le public qui se voit ainsi donner des instructions par le staff technique, ou cette autre scène géniale avec le fils aîné s’improvisant chef d’orchestre avec 3 spectateurs dont un qu’il décoiffe allègrement. La scène devient ainsi le lieu de toutes les audaces car les Semianyki ont bien compris que le couple spectacle/public est fusionnel et que loin de n’être qu’un instrument au service de tous leurs délires, le théâtre abolit les frontières comme le prouvent les inattendues apparitions d’un technicien ou d’un chien qui la traverse comme s’il ne s’y passait rien !

On peut même affirmer, dans ce triste début de siècle, que ces clowns exceptionnels qui ouvrent le monde sont sans aucun doute le dernier rempart à tous les nationalismes qui essaient de le cadenasser.

L’univers sonore et visuel fou et détraqué de la famille Semianyki redonne foi au genre humain.

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© photographies : Frédéric Stéphan

Mise en scène de la troupe.
Scénographie : Boris Petruchansky
Interprétation et écriture : Olga Eliseeva, Alexander Gusarov, Kasyan Ryvkin, Marina Makhaeva, Elena Sadkova, Yulia Sergevaa

Vu le jeudi 10 mars 2017 lors du Festival russe du Théâtre Toursky
Prochaines dates à venir

AU BOUT DU ROULEAU

Au bout du rouleau 

Un chômeur prend en otage le leader mondial du papier-toilette afin de rappeler à tous les conséquences insoupçonnées de nos actes de consommation, y compris les plus insignifiants.

Les auteurs de cette comédie à prétention ecolo. et qui en sont aussi les deux comédiens  (Gerard Dubouche de la compagnie «Les pieds tanqués» et Didier Landucci vu dans «Les bonimenteurs») s’appuient sur un ressort classique de la comédie de situation: l’opposition d’un homme d’action efficace (en l’occurence un brillant entrepreneur), bourru et cynique tout à coup empêtré dans une relation à lui imposée par un louseur pitoyable mais finalement attachant (on pense notamment au prototype du genre : «l’emmerdeur» dEdouard Molinaro, dont le scénario est justement tiré d’une pièce de théâtre (« Le contrat » de Francis Veber)  réunissant au cinéma Lino Ventura et Jacques Brel). 

Le duo est très efficace grâce à l’excellente interprétation des deux comédiens. On vire de l’humour à l’émotion, quand ces deux personnalités opposées s’apprivoisent mutuellement, pour finalement même verser dans le drame.

Si le propos de cette comédie est de nous faire réfléchir aux problèmes écologiques, on passe cependant largement à côté, la présentation des thèses écologiques demeurant extrêmement superficielle ; surtout elles sont promues par le personnage de louseur velléitaire, raté et immature ce qui, assurément, n’est pas la meilleure façon de leur donner du credit. Le personnage du chef d’entreprise n’a aucun mal à renvoyer ces généreuses idées au rebut des utopies lénifiantes. On en reste un peu surpris.

On remarquera surtout dans ce conte ecolo. et social la mise en scène et la scénographie toute en sobre esthétique de François Bourcier. Les sorties oniriques et explosives du fil de la narration sont très belles, notamment les projections video qui épousent admirablement les contours d’un décor épuré sur le plateau (on se demande tout de même à quel point cette esthétique correspond au registre comique).

Une comédie, donc, qui n’est pas de mauvais goût mais dont on en ressort avec un goût étrange dans la bouche (il est vrai qu’elle finit tragiquement).

Auteurs & comédiens : Gerard Dubouche et Didier Landucci.
Mise en scène : François Bourcier
espace Alya, 20h25, du 7 au 30 juillet 2016. Relâche le 21 juillet

LES CIRCONSTANCES ATTENUANTES

Singulière dans la production d’Eugène Labiche, « Les circonstances atténuantes » se démarque en premier lieu par son ampleur à ce moment de la carrière de l’auteur: écrite au tout début de son oeuvre, ces « Circonstances…» sont une vraie comédie de mœurs et de caractère en trois actes alors même que le jeune Labiche, se cherchant un style, a cumulé les comédies en un acte pendant ses vingt premières années.

Et l’on découvre avec plaisir un X, accouru à Moulins pour épouser une jeune veuve récemment dotée (par le gain d’un procès), apparaissant comme une première étude de ce personnage du bourgeois pansu et crédule qui fera plus tard les délices de son théâtre, un genre de monsieur Jourdain attardé sous le second Empire et sa bourgeoisie triomphante, type également moqué par Daumier dans ses caricatures.

Les manigances de ce matamore empoté se trouvent pour son malheur très vite ruinées par l’arrivée inopportune d’un concurrent autrement audacieux -et dangereux car armé- qui, tout en se donnant des airs de gentilhomme-cambrioleur, dérobe le magot convoité : l’énorme somme d’argent remportée à son procès par madame Debrée, conservée dans un coffre, et qui fonde pour X l’unique motif de l’épouser.

La scénographie des premières scènes, avec des éclairages tout en clair-obscur, pose finement l’ambiguïté d’une situation qui survivra jusqu’au dénouement: de retour de bal et l’esprit encore embué dans l’ivresse et les parfums de la fête, en cette fin de nuit qu’accueille à peine le jour, la belle veuve ne sait bientôt sur plus quel pied danser, entre une frayeur bien naturelle pour qui se retrouve sous la menace d’un revolver et le troublant sentiment que lui inspire ce galant brigand.

Le charme et la frivolité de cette pièce sont encore relevés par des choix plutôt audacieux pour une mise en scène d’un Labiche, tel celui du décor, bien loin des classiques fonds peints des comédies de boulevard, constitué d’éléments forts signifiant l’intérieur bourgeois, de voiles évanescents et surtout par les comédiens eux-mêmes (ceux interprétant les rôles des domestiques) qui se transforment prestement et comme par enchantement en meubles, devenant alors en partie vivants et réagissant alors aux sollicitations des personnages principaux.

«Une pièce est une bête à mille pattes qui doit toujours être en route. Si elle se ralentit, le public bâille ; si elle s’arrête, il siffle…» Eugène Labiche. La compagnie de l’Autre Lune répond brillamment à cette injonction de l’auteur par une mise en scène dynamique et ingénieuse. Ce vaudeville dans lequel Labiche n’avait pourtant pas prévu de parties chantées, est en effet assaisonné de nombreuses et courtes chansons venant redonner du souffle à l’action et qui achèvent de transformer ce vaudeville méconnu en une surprenante tout autant que délicieuse comédie romantique.


« Les circonstances atténuantes » par la Compagnie de l’Autre Lune

Auteur: Eugène Labiche :
Mise en scène: Karolina Lundh-Comon
Avec : Philippe Haennig, Denis Jardinier, Karolina Lundh-Comon, Isaline Saunier, Chantal Vigouroux

Lieu : ABC Théâtre, 14 Rue de Thionville 75019 Paris
Dates: 26/03/2016 – 17/04/2016

Publié le
Catégorisé comme Comédie