Texte
Marivaux
Mise en scène
Alain Françon
LES MAÎTRES DU JEU !
Trois ans après « La seconde surprise de l’amour », Alain Françon revient à Marivaux. Il reprend pour les rôles principaux les mêmes comédiens : Georgia Scalliet et Pierre-François Garel.
(notre critique précédente https://lagazettedutheatre.fr/critique/la-seconde-surprise-de-lamour-francon-odeon-marivaux/ )
Il est passionnant d’assister à ce travail de « variations » (comme on parle de « variations » chez Bach), chez un metteur en scène aussi précis et musical que Françon. Et surtout sur le texte de Marivaux, dont le théâtre est en soit une variation infinie sur un même thème : « le dire amoureux ». Déclinaisons tellement nuancées de pièces en pièces qu’il est parfois difficile de les différencier les unes des autres.
Le décor ? Dans « la surprise », un grand espace ouvert sur une toile de « verdure » monumentale, très impressionniste. Un jardin séparait l’entrée de deux maisons. Dans « la confidence » : un intérieur, donnant certes sur un jardin, mais dont la toile peinte de verdure est bien plus sombre, et ne nous apparaît que par bribes. L’espace de jeu, plus oppressant, se réduit à une bande longitudinale limitée à mi-scène par de hauts murs cimaises, dans un style presque palladien (on remarque même à cour que les cimaises sont recouvertes de tessons de bouteilles!). Des murs, des lignes verticales, qui cadrent et enferment les personnages. Passage de l’impressionnisme champêtre à une architecture géométrique donc.
La musique ? Omniprésente, très légèrement, comme la rumeur des émotions des personnages dans « la surprise ». Absente des temps de jeu ici. Mais scandant les entractes par des solos de guitare rock, faisant dissonance avec l’univers policé et aristocratique fin 19ème (même époque que pour « la surprise »).
Le jeu ? Forte continuité entre les deux spectacles semble-t-il. Mais toutefois dans « Les fausses confidences » il y a plus de géométrie, limitant l’expression de sentiments, enfermant, comme dans un carcan, des cœurs qui voudraient s’affranchir et crier. Les comédiens se parlent souvent de loin étirés sur la largeur du plateau, générant un effet d’impossible rapprochement sensuel, ou seulement de la communication. Cela éclatera quand, enfin !, Araminte traversera tout le plateau, enjambant sur sa ligne droite, le mobilier pour se jeter dans les bras de Dorante. Quand ils sont plus proches, cette proximité se fait insupportable, et ils ne peuvent donc se regarder dans les yeux et échangent face public, comme si une géométrie sociale (distanciation dirions nous désormais!) les contraignait encore.
Mais si Alain Françon met en scène, avec une précision d’horloger et une minutie de peintre flamand, l’impossible rapprochement amoureux ce n’est, avec Marivaux, que pour mieux y faire triompher l’art de Dubois. Dubois l’architecte, le géomètre, le véritable stratège des cœurs. En un mot, Dubois est le metteur en scène. Car c’est bien Dubois qui fait de l’obstacle un levier stratégique, de la rigidité des codes sociaux une carte du tendre. Et là, bien entendu, il faut célébrer l’art de Gilles Privat. Oui, Georgia Scalliet émeut, alliant finesse et profondeur émotionnelle. Oui Pierre-François Garel offre une cohérence et une continuité dans la justesse comme dans l’intensité. Mais Gilles Privat joue en maître sur l’échiquier du théâtre. Sa maestria d’acteur consonne parfaitement avec l’art du machiavélique Dubois. Allant jusqu’à lui donner une tonalité méphistophélique.
Magnifique spectacle que cette mise en abîme et en perspective de ces trois « dieux en machineries » : Marivaux, Privat, Françon, au sommet de leur art. Trois maîtres du jeu ne faisant qu’un.
Texte
Marivaux
Mise en scène
Alain Françon
Avec
Pierre-François Garel
Guillaume Lévêque
Gilles Privat
Yasmina Remil
Séraphin Rousseau
Alexandre Ruby
Georgia Scalliet
Maxime Terlin
Dominique Valadié
Assistante à la mise en scène
Marion Lévêque
Décor
Jacques Gabel
Lumières
Joël Hourbeigt
Thomas Marchalot
Costumes
Pétronille Salomé
Musique
Marie-Jeanne Séréro
Coiffures maquillage
Judith Scotto
Conseil chorégraphique
Caroline Marcadé
Assistante costumes
Charlotte Le Gal
Musiciens
Floriane Bonanni, Renaud Guieu, Quentin Lupink
Théâtre Nanterre-Amandiers 23 novembre — 21 décembre 2024
https://nanterre-amandiers.com/evenement/les-fausses-confidences-marivaux/