COMMENT J’AI DRESSÉ UN ESCARGOT SUR TES SEINS

Une pièce de Matéi Visniec

Mise en scène Serge Barbuscia

Une caisse au centre de la scène. Vient une étrange musique, lancinante et sémillante à la fois. Un pan de cette caisse s’ouvre. Un homme, en costume plutôt banal, y est assis. Il se brosse les dents. Un geste du quotidien. Puis c’est l’émergence du verbe. L’homme parle de son cœur qui cherche à s’évader, d’un organe qui a sa vie propre et qui s’adresse à Madame, un personnage peu décrit, mais qui se manifeste occasionnellement par une voix off.

« … Avec vous, Madame, je ne peux pas faire autrement. Vous avoir devant moi et garder en même temps mon cœur étouffé dans ma poitrine, ce n’est pas possible. C’est pour cela que je préfère le sortir et le mettre devant vous, au milieu de la table. Comme ça on pourra parler à cœur ouvert. Comme ça il n’y aura plus de secrets entre nous… »

Magnifique évocation de la naissance d’une histoire passionnelle entre deux êtres ordinaires. Le cœur de l’homme s’est échappé. Il est libre mais il saigne hors du carcan de son thorax. Mettre son cœur à nu favorise l’émergence certaine de blessures. Ce que ne manque pas de lui rétorquer Madame, étonnée et peut-être apeurée de voir cet organe précieux et essentiel dans une telle situation.

« … Votre sang coule et risque d’inonder la rue. Vous êtes une blessure qui traîne sur la ville. Ce n’est pas bien pour les gens qui vont partir au travail… »

« … Vous avez le droit de fouiller dans ma blessure, Madame. Ma blessure est un miroir… »

Photo Gilbert Scotti

Et l’homme sort de cette caisse, la déplace avec difficulté, la pousse, la tourne et la retourne dans tous les sens. Une gestuelle précise, comme une chorégraphie. Il y entre, il en sort, par tous les côtés, comme s’il voulait retourner dans ce cocon mais…pas trop longtemps. Indispensable peut-être quand on s’aventure trop loin, en terrain périlleux, celui de l’amour fou qui se trouve à portée de cœur, cet organe nocturne qui ne supporte pas la lumière.

Dans ce théâtre d’objets et de mots, la femme se manifeste sous les traits d’un foulard en soie et d’une raquette de tennis. Elle est rendue présente au monde grâce à l’écriture de l’auteur et l’éloquence du comédien. La sensualité et la sexualité exaltent par tous les pores du texte et cet escargot que convoque le personnage et qui donne son titre au spectacle n’est ni plus ni moins que l’allégorie du malaisé passage à l’acte.

Matéi Visniec est un auteur singulier qui développe son propre univers au lyrisme poétique riche de sens. L’absurde, qui pulvérise les codes connus, sert de référent au spectateur, logiquement dérouté au tout début. Pourtant, il est possible et même nécessaire de comprendre que le texte est d’une simplicité déconcertante, une fois accepté le postulat d’une narration insolite mais claire.

Le metteur en scène Serge Barbuscia a choisi de travailler avec sobriété mais justesse. Le corps du comédien, sa diction, sa tonalité et ses déplacements sont parfaitement maîtrisés, apportant efficacité et sens à ce texte. La caisse qui symbolise peut-être la mort que l’on repousse et bouscule par crainte de la voir trop s’installer dans notre quotidien est une idée intrigante et qui questionne sans cesse. La musique d’Éric Craviatto déploie un univers sonore qui soutient le jeu de Salvatore Caltabiano, formidable véhicule de ce texte. Le spectateur est transporté dans un monde parallèle où le temps, l’espace et les relations entre individus sont chamboulées.

C’est un vrai plaisir pour peu que l’on soit préparé à ce théâtre si vivant qui évoque les plus grands auteurs de l’absurde (Ionesco, Beckett, Adamov…). Visniec, auteur à l’écriture plutôt acérée et dure fait preuve cette fois-ci d’un humour bienvenu, notamment concernant les passages figurant cet escargot nommé Basile.

« …Avec vos seins, madame, c’est différent. Mon escargot s’y sent, en quelque sorte, sécurisé, à l’abri, mis en confiance… Dis-moi, Basile, pourquoi préfères-tu les seins de madame ?… « 

Après avoir passé un peu plus d’une heure dans ce microcosme décalé, nul doute que le spectateur ressort revigoré et la tête bourrée de questions comme celle d’essayer de savoir ce que contient cette petite boîte que l’homme sort de la caisse en cours de spectacle.

Un seul en scène drôle, ingénieux et émouvant où la poésie et l’Art y tiennent une place notable stimulant l’intelligence et…le cœur.

 

Mise en scène :

Serge Barbuscia

Texte :

Matéi Visniec

Distribution :

Salvatore Caltabiano

Musique :

Éric Craviatto

Création lumière :

Sébastien Lebert

Décors :

Jean-Pierre Marmoz

Voix :

Dorothée Leveau

 

Coproduction :

Compagnie l’Atelier Florentin et Théâtre du Balcon

http://www.theatredubalcon.org/festival2019/commentjaidresse.html

 

Théâtre Atelier Florentin

28 rue Guillaume Puy 84000 Avignon

http://atelierflorentin.com/

 

Vu dans le cadre du Festival Off d’Avignon du 5 au 28 juillet 2019

https://www.youtube.com/watch?v=WWOcDF6R6VQ

 

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