Texte: Valérie Durin
Mise en scène: Valérie Durin et Elodie Chanut
“Le temps est sorti de ses gonds” Hamlet, Shakespeare
Toujours irrésolue depuis cent cinquante ans court une controverse sur la véritable identité de l’auteur le plus célébré de l’ère élisabéthaine. Dernière étude en date par Lamberto Tassinari : »John Florio alias Shakespeare« , un ouvrage disputé par l’institution.
En France, une autre controverse court sur la véritable identité de l’auteur des œuvres majeures de Jean Baptiste Poquelin alias Molière, amorcée au début du vingtième siècle par Pierre Louis poète et homme de lettres. Les preuves sont plus nombreuses que du temps de Shakespeare, le voyage moins loin et l’ombre du génie prolifique. Ici s’engouffrent dans la bagarre écrivain, biographe, essayiste, linguiste, machine à calculer…
Personne n’a jamais vu Molière écrire. Un homme si bien entouré ! A part une signature, rien ne subsiste, pas même une correspondance ! Des études que fit Jean Baptiste Poquelin on ne sait rien. Tout ce qu’on sait avec certitude c’est qu’il était devenu le représentant de l’œuvre de Pierre Corneille et qu’il prit pseudonyme après avoir quitté ce dernier à Rouen. Alors Poquelin devint Molière et se mit à écrire des comédies en rentrant à Paris. Du jour au lendemain le saltimbanque passa maître en alexandrin.
Et quoi donc, qui oserait affirmer que la langue de Molière, notre langue française, serait celle d’un homme qui n’a jamais rien écrit ? Un Plastic Bertrand du grand siècle ? Un pantin ? On nous aurait trompé ? Quelle équation se cache derrière ce vieux serpent de mer : les œuvres majeures de Molière seraient recouvertes et dissimulées par les plumes noires d’une Corneille !? Une fable épique qui mérite bien un fromage…
Pour nous régaler, Valérie Durin a choisi le théâtre et ses moyens : le dialogue, l’action, et la liberté des poètes à imaginer ce qu’aurait pu être la relation de ces deux ogres. Un ton drôle, libre et irrévérencieux qui sied bien à ce pied de nez historique.
Une scénographie dans la pénombre, un bureau dans un décor de notaire où de bibliothèque nationale sur lequel repose des dossiers ficelés, archives entassées sous la lampe verte. De flash-back en flash-forward, un bureau qui à chaque acte, grince sur ses gonds, pour mieux cerner chaque angle de l’enquête. L’actrice, le cul entre deux chaises, incarne où singe tantôt Molière, tantôt Corneille.
Valérie Durin, dont on perçoit l’érudition passionnée pour ces vies croisées et collaboratives, ne s’est pas intéressée à transcrire la problématique d’attribution des œuvres sans avoir plongé dans l’intimité des deux hommes. Ainsi les amis , les femmes et les rivaux qui peuplent ce dix-septième siècle surgissent au cœur du récit qui unit le jeune Jean Baptiste Poquelin, l’apporteur de pièce et sa troupe, à la figure tutélaire de Pierre Corneille ; tuteur, commanditaire, associé…
Le véritable coup de théâtre de cette proposition de Valérie Durin, étayée d’indices, de preuves, de solutions ne serait-elle pas l’affirmation du rôle majeur qu’aurait pu jouer les femmes dans le bâti de cette œuvre et notamment celui de la cheffe de troupe : Madeleine Béjart ?…
Interprète : Valérie Durin
Créateur sonore: Jean-Marc Istria
Créateur sonore: Jean-Marc Istria
Théâtre de l’Atelier Florentin (28, rue Guillaume Puy, Avignon, du 6 au 31 juillet)