Changement d’univers. Après Cyrano de Bergerac et « La mort d’Agrippine » avec une mise en scène jouant à fond la disruption (Ah époque!), Daniel Mesguich investit Châteauroux, Labiche et le slapstick à la Mack Sennett.
Vancouver, sourcil charbonneux et barbe fournie, est un père aimant, complétement aimanté à son Isménie de fille dont il dénie l’hymen, et malmène tous ses éperdus prétendus. C’est sans compter sur le jeune et ardent Dardenboeuf, sourcil charbonneux et barbe fournie, qui entre sur le ring pour en découdre à son tour…
Dès les premières minutes on comprend que l’intérêt principal de cet affrontement reposera sur l’interprète du père, Frédéric Souterelle. Sa performance est impressionnante. Pleine de démesure et de justesse, il fabrique des merveilles de ruptures, d’intonations. Une manière de phrase et de dire qui régale le texte. Cela intimement couplé avec une inventivité et une précision de corporelle étourdissante. Cet alchimiste est en combustion permanente, en sueur dès la seconde phrase, et sans une once d’épargne jusqu’à la dernière.
(photo DR)
Et puis il y a Labiche bien sûr. Ce Labiche éternellement dans l’ombre de Feydeau, et dans l’ombre de sa trop grande prolixité (plus de 175 pièces connues). Labiche trop perçu comme un auteur à l’humour bourgeoisement compassé, daté à la naphtaline second empire. Labiche pourtant qui , sous le vernis de la bourgeoisie fait craquer la folie à l’état pur (paranoïa et meurtre dans « L’affaire de la rue de Lourcine », l’émotivité ravageante dans « Embrassons nous Folleville »…) Ici c’est la folie du père qui crée l’intrigue. Un amour fou et inquiétant, incestuel pour tout dire, envers sa fille. C’est ensuite D. Mesguisch qui contamine les autres protagonistes, plus sages dans le texte, avec cette rage délirante. Il semble avoir saupoudré l’oeuvre originale de cocaïne, et mis du LSD dans la théière. Tex Avery ( et son loup transformé en Euzebe), Mack Sennett donc, les Monty Python, et même Sophie Forte pour un court stand up, envahissent les interstices, se logent et prolifèrent partout. On rit, on rit beaucoup jusqu’à l’hilarité. On rit tellement, et de tant de choses, qu’on en perd le fil parfois de l’histoire. Histoire qui n’est pas si anodine que cela avec ses allures de tragédie bouffonne. Un peu moins de surplus n’aurait pas nuit, en donnant un peu d’air, en laissant plus avancer l’intrigue, et faisant confiance à la maestria des comédiens. Le plat, plus léger n’en serait pas moins délicieux. Mais Daniel Mesguich, comme Labiche, est un gourmand. Est-ce un péché si capital ?