Texte et Mise en scène : Rufus
Grande blouse blanche pour le docteur, costume noir pour le patient. Les symboles semblent parfaitement identifiés dans cette histoire où un tueur professionnel à la rigueur de vie exemplaire malgré son métier (il ne fume pas et ne boit pas) vient rencontrer un guérisseur à la réputation d’une grande efficacité pour qu’il lui fasse disparaître ces terribles crampes qui lui tenaillent l’estomac chaque fois qu’il fait passer un individu de vie à trépas.
Mais tout n’est pas si simple, en tout cas pas si cousu du fil blanc de la blouse du docteur Lebeurlard (Rufus en grande forme) qui, au tout début, vient s’adresser au public devant le grand rideau noir encore fermé. Puis, à l’ouverture de celui-ci, c’est Jean Dube, le patient (Richard Martin impeccable), qui apparait dépité et abattu sur un divan rouge vif. « Ce n’est pas moi qui tue, c’est ma colère », se lamente-t-il.
Pas facile pour un tueur de se faire soigner par un médecin guérisseur de bonne réputation. Et puis, que faire ? Lebeurlard n’est pas magicien, que diable ! Alors, l’apparition soudaine et inattendue d’une jeune femme muette, invisible aux yeux de Jean, va transcender le docteur. Et Lebeurlard, touché par la grâce, de s’engager sur une possible voie de guérison par un subterfuge : évacuer le réel pour Jean Dube en brisant le quatrième mur. Celui-ci s’en accommode fort bien puisqu’il fait revenir le personnage de la jeune femme, uniquement visible par lui cette fois-ci, d’entre les spectateurs.
Ce dialogue savoureux écrit par Rufus lui-même, questionne sans cesse les rapports entre le malade et le médecin ainsi que le conditionnement des individus et du spectateur, car rien ni personne n’est jamais ce qu’il semble être. Le tueur, vêtu de noir, porte des chaussures rouges renvoyant à un côté clownesque. Le guérisseur ressemble plus à un savant fou qu’à un psychiatre. Et puis où sommes-nous vraiment ? Dans un cabinet ou au théâtre ? Et puis qui soigne qui au final ?
Bien sûr, il y a un déroulement logique à cette histoire dont on meurt d’envie de découvrir la suite. Comme dans toute psychanalyse classique, on remonte même à l’enfance pour révéler le trauma du tueur (on lui a demandé petit de noyer des bébés chats). Les comparaisons avec le règne animal sont par ailleurs fréquentes. Mais on sent que ce qui intéresse Rufus est moins de parvenir à la fin de son histoire, que de se lancer dans une passionnante mise en abyme.
En admirateur de Beckett dont le comédien a plusieurs fois joué des textes, c’est l’absurde qui importe. Certains attendent Godot, d’autres attendent d’être guéris. Pourtant, en filigrane, c’est bien la détresse d’un vieux solitaire, prisonnier de ses démons, qui vient chercher une miette de ce bonheur qu’il n’a jamais vraiment ressenti.
La confrontation verbale est menée de main de maître par deux comédiens qui excellent et s’amusent des comportements de leurs personnages respectifs. Le tout dans un décor minimaliste, le fameux divan faisant office de lieu de pouvoir.
Chers spectateurs, vous êtes prévenus, ne vous aventurez pas dans cet univers poétique et loufoque sans savoir où vous mettez les pieds. Laissez-vous plutôt emporter loin du conformisme d’une dramaturgie classique pour mieux vous immerger dans cette atmosphère de dérisoire dérision.
Et hop ! Si vous avez eu une journée difficile, on ne peut que vous conseiller de vous rendre au cabinet théâtre du docteur Lebeulard. Rires et bien-être garantis !
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© Photographies : Candice Nguyen
Mise en scène : Rufus
Texte : Rufus
Interprétation : Rufus, Richard Martin, Zoé Narcy
Régie générale et lumière : Zoé Narcy
Vu le 19/07/2018 au Théâtre du Balcon (Avignon)
Prochaines dates à venir : 21, 22, 23, 25 26 et 28 juillet à 15h40