FIN DE PARTIE

FIN DE PARTIE
DE SAMUEL BECKETT

Mise en scène Jacques Osinski

  Dans son refuge postapocalytique, Hamm (Frédéric Leidgens), maître des lieux décrépit et tonnant, aveugle et en fauteuil roulant…

Avec lui, ses parents culs-de-jatte, bouclés dans des poubelles, qui apparaissent par intermittences, et Clov (Denis Lavant), son domestique, peut-être un fils adoptif.

Mais aujourd’hui quelque chose a changé : ça va peut-être enfin tout à fait finir.

C’est cette fin, espérée et crainte, retardée et accélérée, jouée et subie, cette impensable et impossible fin, que raconte « Fin de partie ». Est-ce vraiment la fin de la bouillie, la fin de la terre, la fin du couple Clov/Hamm ? Fini de jouer ?

La question est entière et permanente, jouée dans une tension extrême entre les deux personnages, par les deux comédiens. Si les paroles qu’ils s’échangent sont des coups qu’ils se portent, pointent simultanément une forme d’attachement entre eux, l’attachement d’un vieux couple. Un couple oui mais de quelle nature ? Comment savoir, il n’y a plus de nature.

 » Quelque chose suit son cours « , mais cela va-t-il pour autant finir dans ce refuge coupé de tout, dans cet univers brutalement réduit, flottant dans le vide à l’image d’un satellite à la dérive? D’un bateau sans ivresse ? D’un plateau de théâtre ? Côté mer / côté terre, côté cour/ côté jardin. A moins qu’il ne s’agisse d’un damier de jeu d’échec.

DR Pierre Grobois

Jacques Osinski met parfaitement au centre de sa mise en scène et de sa direction d’acteur la question du Jeu et la Fin.

« Cessons de jouer ! » Demande Clov. «  jamais! » réplique Hamm. Quand il n’y a plus de but ni de sens à vivre, jouer est le seul choix quand il n’y a plus de choix. Tant qu’il y a des mots et quelqu’un pour « donner la réplique » comme dit Hamm.

Denis Lavant entretient un lien particulier et ancien avec le cirque et les clowns. En 2017, il déclarait : « Mon plan de navigation intime c’est d’être clown .» « Mon idéal », être ce «poète de la piste». Il incarnait d’ailleurs en 2019 l’auguste dans « Le sourire au pied de l’échelle » d’Henry Miller. Il donne à son Clov, par touches légères mais prégnantes, sa force Clovnesque. Et fait apparaître l’évidence d’un rapport Auguste/Clown Blanc dans la vision de Beckett. Il donne une telle humanité à son personnage, avec ses renfrognements d’enfant, ses injustices vécues comme toujours inédites, sa méchanceté enfantine parfois qui lui permet de ruser avec la dureté d’Hamm. Serge Merlin n’étant plus, Denis Lavant se révèle une fois de plus l’un de nos comédiens ultimes encore visibles. Dans toute son étrangeté et toute sa proximité, il est la poésie qu’il met en jeu jusque dans la moindre chose.

Frédéric Leidgens, en Hamm spectral et maniéré, travaille les mots comme l’on équarrit un cadavre. Il témoigne d’un travail d’articulation, et de prononciation, qui permet au texte d’être vécu sur scène autant que d’être autopsié. Il faut saluer cet effort, ce respect de chaque seconde pour le texte. Il est, ailleurs, trop souvent bradé, bazardé, bavardé. Frédéric Leidgens, accompagne ce jeu, par un balai permanent de ses mains fascinantes. Là où le personnage est accablant par son immobilisme aggravé de cécité, le comédien lui ouvre une échappée et lui donne un corps de marionnettes, par ses deux mains joueuses. Hamm marionnettiste ! Je n’y avais jamais pensé. Merci donc ! Marionnettiste de ses mains, de son chien en peluche, de Clov… Un Clov qui d’ailleurs ne sait pas pourquoi il obéit, quand aucun fil de corde ne permet à son maître de le diriger. (On pense ici à la corde autours du cou dans « Godot »). Marionnettes parentales aussi, sorties au besoin de leurs poubelles. Hamm comme un Dom Juan d’après l’effondrement, a changé la statue du Commandeur en un brailleur édenté quémandant sa bouillie. Finalement Hamm aussi est un enfant. Un vieil enfant qui a cassé tous ses jouets.

DR Pierre Grosbois

Dans un univers où la liberté du metteur en scène en scène est limitée, par cet autre marionnettiste obsessionnel qu’est Beckett, Jacques Osinski réussit un magnifique spectacle, où le respect de l’œuvre laisse percer sans cesse l’envie d’en jouer, d’en savourer et découvrir les facettes infinies. Avec beaucoup d’intelligence, et de malice. Car j’oubliais, comme des enfants aussi, nous rions beaucoup…

FIN DE PARTIE
DE SAMUEL BECKETT

Mise en scène Jacques Osinski

Avec Denis Lavant (Clov), Frédéric Leidgens (Hamm), Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg)

Scénographie Yann Chapotel
Lumières Catherine Verheyde
Costumes Hélène Kritikos

Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin, 75018 Paris

À partir du 19 janvier 2023
Du mardi au samedi à 19h
Le dimanche à 15h
Durée : 2h10

https://www.theatre-atelier.com/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *