Texte MARTIN CRIMP
Mise en scène SYLVAIN MAURICE
Dès la première scène nous ressentons le huis-clos d’un couple qui aurait tout pour être heureux. Un projet de vie à la campagne bien débuté, certainement deux beaux enfants qui dorment au-dessus. Tout est lisse, évident. Ils sont partis vivre à la campagne. Ce qui a été, après le confinement, pour beaucoup un choix, une bifurcation de vie, pour retrouver l’essentiel, Crimp il y a plus de vingt ans en faisait déjà l’autopsie. La campagne comme la recherche d’une vérité, d’un apaisement, d’une vérité non frelatée.
Mais très progressivement, ce huis-clos apparaît tendu, puis vicié. On simule le couple, on simule « la vie à la campagne », on simule l’accès à un idéal campagnard. Mais l’autre face de l’idéal c’est l’imposture, la dévitalisation au profit d’une posture. Loin du bruit de la ville, du brassage des êtres, on finit par se retrouver face à face, sans échappatoire possible. Et ce face-à-face ne révèle pas une vérité chez Crimp, elle dévoile le mensonge, que l’autre, celui avec qui l’on vit, a des enfants, est un étranger. Un pur étranger. C’est bien cela qui est au cœur de la pièce de Crimp : cette inquiétante étrangeté conceptualisée par Freud (« unheimliche », également traduit « inquiétant familier »). C’est dans le plus familier que surgit, forcément, le bizarre l’incongru, l’étrange.
La direction d’acteur s’inscrit dans cette voie. Dès les premières minutes, Isabelle Carré et Emmanuel Noblet présentent un jeu à la fois juste et plaqué. Un peu « Fake life ». Ils jouent la comédie d’un couple qui se joue la comédie. Comme une mauvaise publicité Ikea. Ils en font trop, ou pas assez, au point que ce couple apparaît progressivement comme une « grimace de couple », un rictus de bonheur, comme on en simule tous sur les photos de vacances ou d’anniversaire. C’est la partie la plus intéressante du spectacle : renvoyer au public comment une relation intime peut se vicier et devenir une photocopie, un simulacre grinçant. Ce jeu très réussi des comédiens met bien en valeur le projet destructeur de Crimp pour dénoncer l’entreprise aliénante socialement du couple et de la vie familiale.
Mais ce semblant perdurerait s’il n’y avait, comme toujours au théâtre, l’intervention d’un élément extérieur, d’un corps étranger. Une femme (Manon Clavel), arrive et fera tomber tous ces semblants… Il ne faut pas révéler la teneur de cette irruption, car « La campagne » est autant un drame relationnel qu’une sorte de polar à la trame parfaitement écrite. Disons simplement que Manon Clavel joue à merveille, dans son relâchement et son instinctivité le pendant d’une Isabelle Carré très corsetée dans son bonheur.
Sylvain Maurice réussit à nous immerger dans cette campagne révélatrice : Une campagne où la recherche de la nature préservée débouche sur la découverte de notre nature frelatée. Une campagne où le brouhaha humain incessant de la ville n’ayant plus cours, la parole isolée apparaît vidée de toute émotion vraie : humaine sans humanité. Un spectacle angoissant tant il déconstruit nos identifications. Pour y substituer quoi ?
Texte MARTIN CRIMP
Traduction PHILIPPE DJIAN
Mise en scène SYLVAIN MAURICE
Avec
ISABELLE CARRÉ
YANNICK CHOIRAT, en alternance avec EMMANUEL NOBLET
MANON CLAVEL
Scénographie SYLVAIN MAURICE
En collaboration avec MARGOT CLAVIÈRES
Lumières RODOLPHE MARTIN
Son JEAN DE ALMEIDA
REPRÉSENTATIONS
Du 13 mai au 18 juin 2023
21h du mardi au samedi
17h le dimanche
Durée 1h20
https://lascala-paris.fr/programmation/la-campagne/