D’après le roman de Karel Capek adapté par Evelyne Loew
Mise en scène: Robin Renucci
Un vieux loup de mer, à la capitaine Haddock, découvre sur une île perdue des mers lointaines un genre de loch ness tropical où subsistent depuis des millénaires des créatures bizarres. Il utilise l’intelligence de ces salamandres pour pêcher les perles… tout en leur apprenant à éliminer leur prédateur immémorial, les requins, qui les cloitraît dans cette île. Le capitaine, et l’industriel auquel il s’associe, deviennent incroyablement riches… incroyable comme le bond qu’accomplissent alors ces salamandres dans l’évolution de leur espèce. Et l’on peut bientôt employer cette main d’œuvre servile, rapidement devenue innombrable, à toutes sortes de travaux manuels… mais aussi intellectuels.
En avance de deux décennies sur «La planète des singes» de Pierre Boulle, le roman d’anticipation de Karel Capek se conclut par une révolte de cette race d’esclaves. Mais entre-temps, cette fable à l’ironie mordante aura dénoncé la folie des Hommes: la maximisation du profit, la compétition entre nations, la débilité médiatique, le mépris de l’environnement. « Un monde qui, en toute insolence et inconscience, entreprend de scier tranquillement la branche sur laquelle il est assis» traduit le metteur en scène, Robin Renucci.
Adapter à la scène ce roman foisonnant, incluant des suppléments documentaires, des coupures de presse, dont l’intrigue se déroule en de multiples endroits de la planète (système repris plus tard par les films catastrophe) et surtout sans réels personnages principaux, n’est pas une mince affaire. Evelyne Loew réussit la mission impossible par le truchement de deux journalistes, dont un lanceur d’alertes, utilisés comme fil conducteur. L’adaptation penche vers la fable environnementale plutôt que le conte philosophique en faisant notamment l’impasse sur le racisme et l’antisémitisme trivial du si sympathique «capitaine Haddock». Si ces défauts accentuent dans le roman la critique d’un monde occidental où racisme et exploitation d’autrui sont la norme, concourant de ce fait à sa ruine, il est en effet difficile de présenter au grand public un personnage raciste sous des dehors sympathiques, encore moins à des enfants. L’ironie voltairienne du conte philosophique n’est pas accessible à tous. C’est cependant dans une fantaisie joyeuse qu’apparaissent les parallèles entre la fable tirée du roman de Karel Capek et les menaces qui assombrissent notre actualité: dérèglements climatiques, fonte des glaces, montée des eaux, etc.
Sept comédiens au plateau interprètent une cinquantaine de personnages, passant souvent à vue de l’un à l’autre et s’arrêtant parfois pour commenter le cours des événements. Dans une esthétique de bois et de fer inspirée des années trente, ils traversent la salle de rédaction d’un quotidien national, le bureau d’un industriel en vue, la ruelle d’un port, une plage du Pacifique, une salle de marché boursier, la réunion d’un trust international, une assemblée de la Société des Nations. Les comédiens deviennent danseurs, changent eux-mêmes les décors et réalisent à vue certains bruitages comme ceux de la houle et des vagues pour une scène de baignade à la plage. On s’amuse follement de les voir, à l’arrière-plan, clapoter des mains dans l’eau d’une bassine et agiter un chiffon de plastique devant les micros, tout comme les professionnels du cinéma, en studio. Robin Renucci aime en effet « que la magie des bruitages et des techniques du théâtre soit visible du public pour créer un jeu ludique, un va-et-vient jubilatoire entre les personnages et les acteurs, entre le texte de 1935 et notre société du 20ème siècle. » Eh bien, c’est réussi! Le procédé rend en outre hommage à la tradition du théâtre de tréteaux, théâtre populaire par excellence. Ce spectacle plaira à tous.
Avec: Judith d’Aleazzo, Gilbert Epron, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Julien Renon, Chani Sabaty
Scénographie: Samuel Poncet
Objets, accessoires animés: Gilbert Epron
Lumière: Julie-Lola Lanteri-Cravet
Costume s et perruques: Jean-Bernard Scotto assisté de Judith Scotto et Cécilia Delestre
Bruitages: Judith Guittier