De Carlo Goldoni
Mise en scène Alain Françon
Mais que vient-on chercher dans la Locanda de la belle Mirandolina ? Le gîte et le couvert bien sûr. Mais pourquoi y reste-on si longtemps, comme pris dans la toile d’une araignée ? Les scènes d’exposition nous l’apprennent, via un Comte parvenu et un Marquis qui n’y parvient plus. L’amour, ou plutôt l’idée de l’amour ; le plaisir d’être charmé et littéralement ravi par une telle femme. Le plaisir d’être fasciné. Un amour de théâtre. Mais pas au-delà car les énamourés, comme deux spectateurs, savent que leur désir ne passera jamais la rampe. (Réalité sous-jacente des infranchissables castes sociales). Puis paraît un Chevalier qui n’entre pas dans le jeu, ne veut pas se rendre aux artifices féminins, pourtant si raffinés. On ne l’y trompera pas, une femme n’est que feintes, tours et tracas. Cette vérité étant universelle, il méprise tout les hommes qui s’y laissent attrapés. Comment diable peut-on se laisser duper par le prestidigitateur tant que l’on connaît sa profession ? Mais Mirandolina a la main agile…
La première qualité formelle de cette Locandiera, c’est la nervosité, la tension permanente qui électrise le spectacle. Pour tout dire la fièvre amoureuse. Les comédiens collent leurs répliques au point qu’il est impossible de voir jamais la jointure. Ils ne baissent jamais de rythme dans leur jeu. Cela nous transmet sans faillir le bouillonnement maladif qui agite les personnages. Oui , à y regarder de plus près la Locandiera de Françon est une sorte de docteur Knock, et sa Locanda a tout de l’hôtel-hôpital imaginé par Jules Romain. On doit y entrer bien portant, en en sortir… malade d’amour.
Il offre, une fois de plus, un spectacle de haute altitude. Sa compréhension de la pièce s’impose, sa mise en scène complexe et simple est une pure jubilation.
L’intrigue avance au rythme des changements d’espace. Il fait de cette auberge un espace mental, celui de l’héroïne. On arrive dans la salle à manger, lieu public des apparences, puis dans la chambre du Chevalier, ring autant que lieu sensuel. Une fois le Chevalier ferré, la partie se déplace dans la buanderie, où elle règne et marque ses sujets au fer rouge. On explore l’auberge, passant comme magiquement par des couloirs de confidences. Pour aboutir au grenier, plateau vide, ou la vérité ne pourra qu’éclater. Comme un hors-scène, où jouer n’est plus possible.
Cette « identification d’une femme » que réalise Françon est magistrale. Elle a pour cœur bien entendu le jeu de ses acteurs. Tant Alain Françon est peut être le meilleur directeur d’acteur de notre époque.
Florence Viala interprète à merveille Mirandolina l’illusionniste. Mêlant espièglerie et rouerie féminine. revanche de classe et de sexe troublée par une illusion à laquelle elle se prend elle-même à croire. Elle passe avec élégance et maestria de la légèreté initiale à la blessure finale. Elle allie merveilleusement comédie et tragédie intime. Elle incarne cette parenthèse : être virtuellement affranchie de la tutelle des hommes, ne faisant couple avec aucun. Mais à la fin de la parenthèse les véritables couples se reforment.
Mirandolina avec Fabrizio le valet.
Le comte avec le marquis. Exceptionnel duo comique formé par Hervé Pierre et Michel Vuillermoz, ébouriffants Laurel et Hardy teintés dans un rouge-bouffon de Sienne.
Le Chevalier avec son serviteur. Stéphane Varupenne aiguisé comme une lame, parfait dans sa mâle certitude, malin mené par le bout du nez. Il est « servi » par la révélation de cette pièce, Noam Morgensztern. Contrepoint comique d’un magnétisme et d’une puissance drolatique un peu inquiétante. Il suffit qu’il entre sur scène pour que le publique s’irise, attendant un presque rien dans le jeu qui, sans coup férir, fait mouche à tout coup.
Les deux comédiennes aussi, repartent bras dessus,bras dessous. S’excusant encore d’un « Hors de scène je ne sais point feindre ». Avec leurs effets éventés, qui ne sont que l’illustration qu’il n’y a pas plus forte comédie que celle qui se joue dans la vie.
photos Christophe Raynaud de Lage
De Carlo Goldoni
Mise en scène Alain Françon
Avec
Florence Viala, Mirandolina,
Coraly Zahonero Dejanira, comédienne
Françoise Gillard * Ortensia, comédienne
Clotilde de Bayser * Ortensia, comédienne
Laurent Stocker, Fabrizio, valet de l’auberge
Michel Vuillermoz, le Marquis de Forlipopoli
Hervé Pierre, le Comte d’Albafiorita
Stéphane Varupenne, le Chevalier de Ripafratta
Noam Morgensztern, le Serviteur du Chevalier
Thomas Keller, le Serviteur du Comte.
Traduction : Myriam Tanant
Scénographie : Jacques Gabel
Costumes : Renato Bianchi
Lumières : Joël Hourbeigt
Musique originale : Marie-Jeanne Séréro
Son : Léonard Françon