De Molière
Mis en scène par Peter Stein
Critiquer ce « Misanthrope » c’est risquer de répéter l’expérience d’Alceste lui-même, sommé de donner son avis sur les sonnets d’Oronte. Soit être trop idéaliste et élitiste, soit être trop conciliant. Ne pouvoir rien aimer par rigorisme stérile, ou aimer tout sans capacité, ou volonté, de distinction et de discernement. Car oui, Alceste est un manichéen, qui ne connaît que deux couleurs, le noir et le blanc. Notre capacité à aimer, à être heureux, ne dépend-elle pas de notre capacité à accepter les compromis ? Or la production de Peter Stein n’est pas simple à analyser. Car elle est pleine de contrastes. Là où certains regrettent un molière d’époque, on peut louer Peter Stein de ne pas s’égarer en une de ces transpositions gadgets et purement formelles, qui font office de créativité à trop de metteurs en scène. Oui mais ce respect de l’époque semble peser comme un voile d’amidon sur la spontanéité de jeu, et l’humanité des personnages parfois.
La grande fidélité à Molière est la base d’un spectacle de haute tenue et sans échappatoire artificiel.
Le décors n’utilise que le premier tiers de la scène, et ne laisse aux personnages aucun point de fuite, aucune perspective. Ils sont prisonniers d’un couloir de jeu. Rien ne peut jamais s’y conclure d’un accord. Il n’est pas possible d’y faire société, amitié, et encore moins couple. Tout tourne court. Et la seule possibilité d’en finir et magnifiquement figurée dans la dernière scène. Les murs tombent, mais ne libèrent pas. Ils laissent place au néant. Soit l’apparence des liens humains, soit le désert. Cette sensation d’oppression durant toute la pièce, s’achevant sur l’ouverture sur l’absence d’espoir est une vision âpre et cohérente avec la noirceur même de Molière.
L’interprétation de Lambert Wilson est également difficile à traiter de manière manichéenne. Grande présence physique, grande ampleur vocale, sincérité et engagement magnifique dans le rôle. Wilson est de ceux qui peuvent défier cet Everest du répertoire classique. Il ne se protège pas du rôle pourtant dangereux. Dangereux, entre autres, par ce qu’il s’agit de représenter l’antithèse du comédien. Alceste rejette tout semblant et représentation. Il en livre une vision romantique et exaltée. Mais le romantisme nuit parfois à l’émotion même. Dans son excès il risque de causer monolithisme voire comique. Or Alceste, s’il est exalté, l’est comme une lame de rasoir qui coupe tout ce qu’il touche. C’est un feu froid. Noir soleil de la mélancolie disait Nerval. Ce romantisme échevelé se mariant difficilement à un dix-septièmisme contraignant, empêche Lambert Wilson d’aller plus profondément, à l’os, dans son Alceste. Il a ce qu’il faut pour en faire ce monstre si humain, mais dont la folie et l’étrangeté ne sont pas assez explorées. Dans la scène de la lettre, avec Célimène, il y parvient et emporte l’adhésion.
Cette version de Peter Stein et Lambert Wilson a des atouts, et malgré ses fragilités, mérite d’être vue. Le public nombreux et enthousiaste est d’ailleurs au rendez-vous et remercie les artistes par des rappels nourris.
photos Svend Anderson
De Molière
Mis en scène par Peter Stein
Distribution :
Lambert Wilson, Jean-Pierre Malo, Hervé Briaux, Brigitte Catillon, Manon Combes, Pauline Cheviller, Paul Minthe, Léo Dussollier, Patrice Dozier, Jean-François Lapalus, Dimitri Viau
Mise en scène : Peter Stein
Décors : Ferdinand Woegerbauer
Costumes : Anna Maria Heinreich
Lumières : François Menou
Théâtre Libre (ex Comédia) du 13 février au 18 mai 2019
4 Bld de Strasbourg,75010 PARIS
https://www.le-comedia.fr/fr/le-misanthrope