Texte d’Henry Miller
Mise en scène Bénédicte Nécaille
A treize ans déjà, acrobate, jongleur, monocycliste. Et après encore, peu doué avec la parole, il est corps étrange et céleste. Il est repéré au conservatoire par Antoine Vitez qui lui offre ses premiers pas, muets, sur scène pour incarner « le mouvement » dans son Orfeo de Monteverdi. Un corps circassien, très tôt, et un désir de clown, depuis toujours. En 2017, il déclarait : « Mon plan de navigation intime c’est d’être clown .» « Mon idéal », être ce « poète de la piste ». On peut dire que Denis Lavant s’est préparé toute sa vie, apprentissage de l’art du clown, pour jouer enfin, être enfin, clown.
Sa création ici est toute à la fois touchante, virtuose, fragile et immense.
Qui d’autre, mieux que lui, pouvait incarner l’Auguste d’Henry Miller ? Lui l’Arlequin, le clochard , l’homme au mille visages, et double de Leos Carax. Sa composition se tresse avec sa vie même, comme une intimité ancienne. Auguste prend un coquillage pour y souffler un air maladroit, c’est dans la poche de Denis qu’il le trouve. Denis qui a toujours collectionné coquilles d’escargot ou coquillages, « dans l’attente ». Fortunes de saltimbanque. Qui est Auguste, le grand Auguste ? Rien, personne. Un masque qui efface, mange, vampirise, celui qui le porte. Un « type génial », qui écrase ce pauvre et brave type d’Auguste. L’homme de chair. Malédiction du comédien, de l’artiste, disparaissant sous le poids de sa création. Mais après une énième représentation, un énième triomphe comique, le pauvre type se rebiffe et s’enfuit. Recueilli par un autre cirque il découvre, enfin, le bonheur en n’étant plus que lui-même, mais en vie. Jouissant de toutes les étincelles de bonheur. « A votre service ! », se répète-il sans cesse, comme on chantonne la formule magique du bonheur. Vivre dans l’ombre des tâches subalternes, des corvées, mais réchauffé par les sourires reconnaissants, alors il se desséchait sous les feux des bravos. Et puis il y a le sort, et l’embûche, sans lesquels il n’y a pas de clown. L’ironie du sort.
Le clown titulaire, un médiocre Antoine, tombe malade. Pensant pouvoir se muer en Mephisto, il lui impose un pacte : lui laisser sa défroque d’Antoine, pour un soir, et lui l’auguste Auguste, y insufflera son génie incognito. Lui offrant son talent et la gloire. Mais comment être diabolique quand on n’est qu’un pauvre diable ?
Bénédicte Nécaille offre un écrin poétique au comédien. Un barreau d’échelle devient une flûte, un praticable de bois se fait loge éclairée, roulotte…
Sa mise en scène simple et épurée, ainsi que la qualité propre de l’acteur à créer du présent partagé, tout nous suspend, plus d’une heure durant. Jeu, magie enfantine, projections d’ombres et lumières, permettent à Lavant d’accrocher sa nacelle à une lune maquillée sur le lointain.
Nacelle dans laquelle il nous emporte longtemps après les dernières acclamations d’un public enchanté, enfin.
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Photos Vincent Pontet
Texte d’Henry Miller
Mise en scène Bénédicte Nécaille
Interprétation Denis LAVANT
Scénographie, lumière Ivan Morane
Son Dominique Bataille
Ombres Philippe Beau
Costume Géraldine Ingremeau
Théâtre de l’Œuvre : jusqu’au 17 février 2019 à 19h (du mercredi au dimanche)
Théâtre du Lucernaire : 27 mars 2019 – 14 avril 2019 à 19h (du mardi au dimanche)