Texte Marivaux
Mise en scène Denis Podalydès
En une période tout aussi indéterminée que mythique, une jeune princesse veut à la fois faire advenir la justice à un pouvoir spolié, par la faute de son propre père, et à son amour du même prince spolié. Comme souvent chez Marivaux le nœud semble complexe pour ne pas dire gordien. Et comme à chaque fois il s’éclairera en s’emberlificotant pour mieux se dénouer brutalement et magistralement quand le fer du destin s’abat enfin.
Il y a tout d’abord les masques (ceux du travestissement en homme). Mais ils tombent vite. L’artifice est grossier et les « comédiens » sont malhabiles. Mais sous ces masques , il y en a un autre plus puissant, plus aveuglant : l’amour. Il suffit que Phocyon sorte ce diable là de sa boite pour qu’il dévaste tout sur son passage, rende sot le philosophe, émue la vieille fille et désirant l’Agis tombé du nid. « Une parole douce brise les os » écrivait Soljenitsyne. C’est à ce spectacle cruel d’estrapade, de supplice de la roue que nous fait assister Marivaux. Mais les martyrs sont volontaires et soufflent eux-même sur les braises du bûcher. La première qualité du spectacle est de nous donner à voir les effets cliniques de l’amour : comme en un laboratoire, sous le microscope. Stéphane Excoffier (Léontine) est extrêmement touchante dans sa capacité à nous faire vivre l’émoi d’un cœur et d’un corps qui se croyait en hiver et reverdit. Thibault Vinçon (Agis) excelle avec simplicité à découvrir l’émoi comme un territoire corporel et spirituel inconnu, et nous convainc totalement. Philippe Duclos est véritablement ridicule et heureux de l’être quand on aime, en jetant en l’air tout ce que l’on croyait être notre identité même. L’incendiaire est Leslie Menu. Rôle difficile, pivot, omniprésent. Elle claque des doigts et la magie opère, elle n’en fait jamais beaucoup, mais en faire plus serait se désaxer. Sa belle danse autour d’un bâton fait penser aux vers conclusifs du Paradis de Dante : « mais tu virais et pressais mon vouloir, comme une roue au branle égal, amour qui mènes le soleil et les étoiles. »
L’amour comme grand ordonnateur, grand horloger. C’est ce que Denis Podalydès représente à merveille dans ses choix de mise en scène et de direction d’acteurs, ce monde de Marivaux où il n’y a pas de dieu, de pouvoir politique, de raison scientifique, au-dessus de l’amour triomphant en tyran sauvage et sanguinaire.
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Crédit photos : Pascal Gély
Texte de Marivaux
Mise en scène Denis Podalydes
Direction musicale Christophe Coin
Scénographie Eric Ruf
Costumes Christian Lacroix
Lumières Stéphanie Daniel
Peintre décorateur Alessandro Lanzillotti
Avec
Edwige Baily Hermidas
Jean-Noël Brouté Arlequin
Christophe Coin Musicien
Philippe Duclos Hermocrate
Stéphane Excoffier Léontine
Leslie Menu Phocion
Dominique Parent Dimas
Thibault Vinçon Agis
Du 15 juin au 13 juillet 2018, Théâtre des Bouffes du nord, Paris.
http://www.bouffesdunord.com/