Texte Jean Genet
Mise en scène Mathieu Touzé
Les Bonnes est représenté pour la première fois en 1947.
Il s’agit d’une pièce tragique et violente, qui s’inspire de l’affaire des sœurs Papin, fait divers sanglant survenu en 1933.
A la création, Jean Genet est un auteur peu connu. La pièce est du reste mal accueillie, peut-être à cause du malaise que suscite l’histoire qu’elle met en scène. Il est difficile de se représenter le court-circuit mental d’une telle œuvre, à une telle époque. C’est aujourd’hui, l’œuvre la plus jouée de Jean Genet.
Étrangement, Mathieu Touzé et son duo d’actrices incarnant Claire et Solange (Elizabeth Mazev, Stéphanie Pasquet), entraînent le texte vers une causticité clownesque à la Shakespeare. En réactualisant le duo des deux criminels et leurs difficultés à assassiner Clarence sur ordre de Richard III. Cette impression se renforce et décolle à l’entrée de Madame (Yuming Hey ), Reine magistrale agneau sacrifié, qui ignore le projet de ses maladroits bourreaux.
Les Bonnes est rapidement devenu un classique. Essentiellement du fait de sa capacité à rentrer dans de multiples lectures : Marxiste (Ah la lutte des classes!), Hegelienne (dialectique du maître et de l’esclave)… La plus intéressante étant certainement la vison psychanalytique. Jacques Lacan rédigea un article fameux sur le cas des sœurs Papin, les ravages de la relation spéculaire dans le registre de la paranoïa, du délire à deux.
Aucune de ces pistes n’est suivie par Mathieu Touzé et la folie des deux domestiques est au second plan. Il y va surtout d’une forme d’envie ravageante envers une figure idéalisée, et donc intouchable, de la féminité. La Femme, avec un L et un F majuscules. Ici le choix gagnant est le choix de Yuming Hey. Il incarne, dans ses excès déclamatoires et chorégraphiques un concept, bien plus qu’une réalité. LA Femme comme pure artifice. Presque sans humanité. Il court, apostrophe, se maquille, éclate, danse, comme une créature virtuelle. Un impossible à reproduire. Cette apparition fait presque chavirer le spectacle vers le grand boulevard, et ses figures mythiques que sont des Maria Pacôme ou Jacqueline Maillan. Nos deux bonnes semblent bien lourdes à ses côtés, et c’est aussi la figure d’un Sancho Panza dédoublé face à un Don Quichotte Drag qui s’impose.
La force du choix de Mathieu Touzé réside dans ce pas de côté qui empêche toute prise pour modèle de cette « Madame » là. Nous ne sommes ni dans l’esthétisation artistique, ni dans le diktat publicitaire.
D’où ce vécu de trop, de jaillissement, d’un fou rire libérateur. Contre-pieds salvateur et nécessaire à la trompeuse élévation de la figure de Barbie au rang d’influenceuse/suffragette, quand il ne s’agit que du recyclage infini du même par le marketing.
Texte Jean Genet
Mise en scène Mathieu Touzé
Avec Yuming Hey, Elizabeth Mazev, Stéphanie Pasquet et Thomas Dutay
27 février au 23 mars
Mardi, mercredi et vendredi à 20h, Jeudi à 19h, Samedi à 16h
https://www.theatre14.fr/index.php/programmation-2023-2024/les-bonnes