LES FRÈRES KARAMAZOV

D’après Fédor Dostoïevski

Mise en scène Sylvain Creuzevault.

        Nous ne tenterons pas ici de faire un résumé des mésaventures de Fiodor Karamazov et de sa lignée. Elles n’ont pour intérêt que d’illustrer la chute de la grande maison du patriarcat. Dostoïevski en est le grand annonciateur. Dieu est mort et ses représentants sur terre ne se portent pas très bien. Le tsaret (guide spirituel orthodoxe) se réduit à un cadavre à la puanteur infâme, le père se décrit et agit comme un cancrelat. Conrad terminait «Au cœur des ténèbres » par : « L’horreur ! horreur ! ». Creuzevault referme le livre de Dostoïevski, dont des pages viennent parfois s’afficher sur le mur anti feu, par « L’ordure, l’ordure ! ». Les frères Karamazov est donc une œuvre radicalement avant-gardiste, hier comme aujourd’hui.

      Il est beaucoup question actuellement de déconstruire. Déconstruire, le modèle patriarcale, l’homme… Sylvain Creuzevault propose donc une construction‑déconstruction du roman sur scène. Construction par un travail énorme et judicieux de coupes, d’assemblages quant au texte ; d’unification d’un texte foisonnant qu’il concentre dans une scénographie où les personnages sont rassemblés « comme des insectes dans une boite de carton blanc ». Cette approche entomologique de l’insecte humain post meurtre du père est particulièrement réussie formellement. L’agitation semble vaine pour ces personnages à qui tout, et par conséquent rien, est permis désormais, dans ce lieu qui devient le non-lieu de toute les équivalences. Équivalence, qui n’est jamais ici érigée en idéal. Car la grande force de la mise en scène réside en cela. Sylvain Creuzevault est fidèle à Dostoïevski en n’ajustant pas le constat de l’auteur à l’air du temps.

Photo Simon Gosselin

        Il met en scène tous les effets de la déconstruction : Un rôle masculin est joué par un homme et inversement. Il n’y pas de hiérarchie dans les modalités d’expression (on joue très librement et même souvent dans un registre que le théâtre du Splendid n’aurait pas renié !). Servane Ducorps n’a pas été choisie pour incarner la femme adorée de tous en fonction d’un idéal féminin selon les canons d’un soi-disant regard masculin… Le metteur en scène réussi le grand écart entre russité dostoievopoutinienne, sans folklore de pacotille, et l’agitprop féministe (la tirade femen lancée seins nus, les phrases placardées sur les murs). Il fait tout cela mais sans tirer à notre place de conclusion idéologique. Sans réduire l’écart justement. Sa pièce est très politique mais non pas doctrinale. Son choix artistique est ainsi hautement respectable, car hautement éthique et moral. Il met en forme la déconstruction, et pousse dans cette mise en forme les constats de l’auteur à leur extrême, mais pas plus. Il laisse le spectateur libre de sa pensée et de son jugement. Voilà, nous y sommes ! Tous frère (ou tous sœurs c’est pareil) ! Il n’y a plus de transcendance supérieure pour nous écraser, nous commander. Est-ce un point de départ ? Un point de chute ? Plus de secte, et plus de certitudes, voici venir des temps d’insectitude.

D’après Fédor Dostoïevski

Mise en scène Sylvain Creuzevault.

avec :

Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier.

Musiciens:

Sylvaine Hélary, Antonin Rayon

Traduction française André Markowicz

Dramaturgie Julien Allavena

Scénographie Jean-Baptiste Bellon

Lumière Vyara Stefanova

Costumes Gwendoline Bouget

Son Michaël Schaller

 

Durée 3h15 (avec un entracte)

22 octobre – 13 novembre – Odéon Paris 6e

https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2021-2022/spectacles-21-22/les_freres_karamazov_2122

 

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