L’OISEAU VERT

De Carlo Gozzi
Traduction: Agathe Mélinand
Mise en scène, décors et costumes: Laurent Pelly

Un roi s’en revient de 18 ans de guerre, pleurant sa reine et les deux héritiers, victimes à son insu de la méchante reine-mère. Heureusement, les bébés promis à la noyade, comme dans les meilleurs mythes, furent finalement sauvés des eaux et recueillis par d’humbles artisans. La reine aussi en a réchappé; elle vit encore, emmurée sous le palais. Un mystérieux oiseau vert la nourrit depuis ce temps ; lequel volatile veille aussi sur les jumeaux, devenus grands et partis à l’aventure découvrir la vérité sur leurs origines.

Carlo Gozzi, défenseur de la Commedia del Arte contre les novateurs du théâtre italien affuble ce qui s’annonce comme un conte merveilleux d’oripeaux grotesques: La reine-mère a échangé à leur naissance les deux jumeaux par deux chiots, incombant la responsabilité de ce maléfice à sa bru ; c’est sous l’évier des cuisines du Palais d’où lui chute sur la tête tous les d’immondices que depuis 18 ans la reine survit emmurée et les braves gens ayant recueilli les enfants royaux sont de triviaux charcutiers.

Mais bon sang ne saurait mentir : dans ce bas entourage le prince et la princesse, se sont malgré tout, durant leur enfance farcis la tête de lecture et de philosophie. Les jumeaux, devenus froids raisonneurs, abandonnent sans ciller leurs parents adoptifs. Ils récusent la douleur des charcutiers qui ne leur paraît qu’égoïsme déguisé en amour de l’autre. Polémiste conservateur, Carlo Gozzi dénonce les supposés travers pontifiants de la philosophie des lumières, l’affranchissement de l’ordre naturel des choses, des mœurs établis et du sentiment filial. A la manière de Candide, nos deux sévères philosophes éprouveront tout au long des péripéties malheureuses de cette fable satirique leur inflexible éthique.

Le merveilleux paraît de suite sur le plateau dans la splendide scénographie de Laurent Pelly : un tapis ondulé, en pente, bordé de kitsch (une série de lampes tel un miroir de loge). Cet immense espace vide accueille les nombreux décors traversés par nos malchanceux héros. En fond de scène : les ombres d’une ville ou un choeur de pommes chantantes gardées par de monstrueuses mâchoires. Tombant sur le plateau tenus par des cordes: de magnifiques candélabres, des cadres de toutes tailles derrière lesquels on vibrionne, une échelle, à partir de laquelle volette poétiquement l’oiseau vert, etc. Un décor, non seulement beau et mobile, mais ingénieux: les comédiens s’amusent à glisser sur le dos ou le ventre d’un niveau de pente à l’autre, le sol se soulève pour laisser apparaître, la fosse (sous les éviers du palais) où croupit la reine .

Un esprit frivole et joyeux manipule ce décor tel un jouet, dont l’impertinence ne s’effraie pas du texte lui-même (certaines traductions présentent en effet le monstre affronté par les jumeaux comme un épouvantail au lieu d’une statue ici, nous renvoyant à une menace imposante, celle de la statue du commandeur, plutôt que de loucher vers la figure plus bénigne du magicien d’Oz ; cette variation s’accordant tout à fait avec la splendeur -même si teintée de kitsch- du décor). La charge de Gozzi et les chicanes philosophiques de son époque sonnant bien creux aujourd’hui, le metteur en scène fait monter la mayonnaise du conte parodique, soutenu par le brio de comédiens, truculents à souhait (dans le rôle du charcutier, notamment). La veine comique s’exprime à plein dans ces personnages gonflés d’invraisemblance et de travers et si les masques sont restés remisés en coulisses l’esprit de la Commedia scintille sur scène.

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Crédit Photo Polo Garat

Assistante à la mise en scène: Sabrina Ahmed.
Collaboration à la scénographie: Camille Dugas.
Lumières: Michel Le Borgne.
Son: Joan Cambon, Géraldine Belin.
Maquillages et coiffures: Suzanne Pisteur.
Accessoires: Jean-Pierre Belin, Claire Saint-Blancat.

Avec: Pierre Aussedat, Georges Bigot, Sabine Zovighian, Emmanuel Daumas,Nanou Garcia, Eddy Letexier, Grégory Faive, Olivier Augrond, Marilú Marini,Jeanne Piponnier, Thomas Condemine, Fabienne Rocaboy.

Théâtre de la porte Saint Martin, Paris 10è
Dernière le 24 juin 2018  Du mardi au samedi 20h30. Dimanche 16h.
Tout public à partir de 10 ans
Durée : Environ 2

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