LOOKING FOR QUICHOTTE
De Charles-Eric Petit
Mis en scène par Vladimir Steyaert
Voici l’un des personnages les plus emblématiques de la culture occidentale, qui franchit allègrement les frontières de la littérature, et dont le nom interpelle chacun d’entre nous. Même sans jamais avoir lu l’œuvre majeure de Cervantès, il est impossible de nier la puissance symbolique de l’Homme de la Manche, le pourfendeur des moulins à vent, et de son fidèle écuyer Sancho Panza.
Certains ont déjà tenté une reconstitution exhaustive du mythe en le transposant sur scène ou via de multiples tentatives cinématographiques (le film inachevé d’Orson Welles ou l’adaptation avortée de Terry Gilliam) mais les interprétations sont inépuisables.
Et on en vient à se rappeler de « Looking for Richard » du comédien cinéaste Al Pacino. Celui-ci sondait les passants dans les rues de New-York, les questionnant sur leur vision de Richard III, le protagoniste de la pièce de Shakespeare la plus jouée dans les pays anglo-saxons. Dans sa quête jubilatoire, Pacino cherchait à rassembler les avis de chacun pour essayer de cerner ce personnage mais se heurtait à la complexité intrinsèque de celui-ci.
En partant de ce principe, l’auteur Charles-Éric Petit et le metteur en scène Vladimir Steyaert ont choisi de se confronter à l’Hidalgo chevaleresque, à l’homme qui déchaine les puissances de l’imagination, à l’individu dont l’idéalisme confine à la folie.
Pour se faire, les auteurs ont transposé l’œuvre dans le contexte contemporain d’une société soumise à l’hyper communication et au règne de la marchandise. D’emblée, les rôles sont inversés. Les dominants d’hier n’étant plus ceux d’aujourd’hui, Don Quichotte est noir et Sancho Panza blanc.
Ouverture. Pendant que l’écuyer pianote sur son smartphone, Don Quichotte lit des extraits de divers penseurs et écrivains, passionnés par le chevalier (Foucault, Girard, Onfray, Tourgueniev et bien d’autres). Des citations tirées du livre de Cervantès sont projetées au sol.
La révolte semble éteinte. Elle suinte cet ennui et cette paresse que produit le système actuel. La tension monte et le noble chevalier craque, jetant ses livres, symboles pourtant d’une certaine résistance. A quoi bon en effet, cette pensée sclérosée qui nous a, au final, apporté ce monde apathique. Que faire alors ? Il n’y a pas à tergiverser, l’action elle seule peut changer le cours des évènements et sortir le monde de sa torpeur.
On commence par essayer de faire recracher un burger de la bouche de son écuyer tel un José Bové déchaîné, puis on s’empare des armes à proximité. Rossinante ? Un caddie ! La lance ? Un ordinateur propice à une cyberattaque ! Le combat continue mais ici ce ne sont pas des méchants magiciens fantasmés au travers des moulins à vents mais bien des institutions concrètes comme le FMI ou l’empire de la malbouffe. Don Quichotte a toujours envie de se battre, de trouver sa Dulcinée (« Partout je te cherche »), de faire triompher la justice, même s’il erre de bars à hôtesses en cellules de dégrisement.
Quant à l’image, elle est forcément partout mais elle n’est plus celle produite par le cerveau de Don Quichotte. Elle est reproductible, insidieuse et dominatrice. En témoignent la petite caméra de Sancho qui ne manque pas une occasion de filmer son chevalier, ou les projections en fonds de scène, comme le télécran d’Orwell.
Cette installation complexe qui mastique et régurgite la mythologie de Don Quichotte, étouffe parfois l’émotion que pourrait générer ses personnages et ce, malgré des comédiens impliqués. Certes dans un monde globalisé où la poésie a de plus en plus de difficultés à exister, la mise en scène peut sembler vouloir se conformer à cette société vide de sens et chaotique. Pourtant, plus que jamais, la reconquête de l’imaginaire doit aussi permettre l’émergence d’une part d’humanité qui semble ici partiellement absente.
Au fond la grande question posée par cette transposition n’est-elle pas celle d’une quête rendue encore plus difficile par la société du spectacle ? La représentation a vaincu la réalité. L’imaginaire est en crise mais il est encore le seul rempart. Sancho le pragmatique, lui, veut ramener son maitre à la raison, mais ce dernier préfère se créer son propre monde et lutter contre une existence morne, vouée à la décrépitude.
Il s’agit donc bien d’un spectacle politique qui exige que les utopies soient revitalisées et sorties de leur somnolence. Vaste programme pour l’Homme de la Manche qui devra s’approprier les outils du nouveau siècle pour nous impulser ce besoin de rêve et de révolte que cet univers 2.0 tente quotidiennement de faire disparaître.
Texte : Charles-Eric Petit
Mise en scène : Vladimir Steyaert
Interprétation : Roger Atikpo, Tommy Luminet
Scénographie : Jacques Mollon
Création musicale : Jean-Christophe Murat
Lumières : Yann Loric
Costumes : Isadora Steyaert (assistée d’Elodie Groux)
Compagnie VLADIMIR STEYAERT et Compagnie L’INDIVIDU
Vu le jeudi 26 janvier au Théâtre Joliette-Minoterie
Prochaines dates : Vendredi 27 janvier – Samedi 28 janvier