Une version originale de notre Cyrano national, mousquetaire querelleur et poète à la fois malheureusement affublé d’un appendice nasal monstrueux comme son orgueil. Désespéré de l’amour, notre gascon imagine tout de même d’y prendre finalement part grâce à son intelligence et sa plume: il écrira les lettres d’un bellâtre amoureux -mais moins que lui!- de la précieuse Roxane. L’autre l’attirera par son physique, lui la séduira avec ses mots. Un théâtre de cape et d’épée, une comédie romantique au succès tant français qu’international (peut-être même interstellaire) jamais démenti.
On est d’abord accueilli comme au cirque : des clowns divertissent les spectateurs qui s’installent mais des clowns échappés de la piste pour se faire clowns de théâtre car de théâtre il est bien question quand dès les premières répliques on entend le vers sonner clair (récusant les frileux qui appréhendaient pitreries et borborygmes). La diction de ces clowns est excellente ; on « entend » le texte. L’accompagnement visuel et burlesque des mots, la façon clownesque de dire le vers, n’alourdit pas l’alexandrin, au contraire, il lui redonne toute sa verdeur. Mais finalement l’auteur, Edmond Rostand, a clairement entraîné sa « comédie héroïque », comme il la qualifiait, dans le registre burlesque (traiter de façon noble un personnage qui ne le mérite pas) et son inverse, l’héroï-comique (art du décalage qui consiste à traiter un sujet bas en style élevé). Alors pourquoi pas des clowns ?
C’est un spectacle idéal pour les plus jeunes non pas tant à cause des clowns que par la durée de la représentation ramenée à une heure, à l’image des éditions abrégées des classiques qu’on trouve au rayon jeunesse des libraires ; l’essentiel y est. Pour le spectateur averti, quelques clins d’oeil rappellent les scènes escamotées, comme ce visuel faisant référence aux voyages célestes de Cyrano ou encore les apparitions furtives autant qu’incongrues d’un clown péruvien, rogaton peut-être du capucin qui marie Christian et Roxane, personnage travaillé dans une version précédente du spectacle puis abandonné dans celle-ci… ou alors, c’est tout simplement une publicité pour le spectacle d’avant, dans ce même théâtre : « Le petit Chipolata » ?… Tout cela n’est pas sérieux ; on rit et on s’amuse beaucoup avec les comédiens qui interagissent avec le public tout au long du spectacle, invitant même les enfants à monter sur scène.
La scénographie, tout en sobriété, très belle, est ponctuée de trouvailles charmantes, notamment dans la scène du balcon avec l’utilisation d’un micro devant lequel le beau Christian, déjà tant gêné pour rassembler son éloquence devant Roxane, se retrouve pétrifié ; de même au moment du baiser avec la projection vidéo de leur duo dans un petit cerceau tendu sur scène. Poétique encore, le personnage de Cyrano, interprété comme un poète rêveur, bretteur de mots qui ne tire plus l’épée mais plutôt la plume, celle de son chapeau. Le tout accompagné à l’accordéon, bien sûr, car que seraient les clowns sans musique?…
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Crédit photo: Christine Le Duc
Mise en scène : Damien Luce
Interprètes : Stéphanie Lassus-Debat (Roxane) Mélanie Le Duc (Roxane) Guillaume Charbuy (De Guiche) Erwan Orain (De Guiche) Damien Luce (Cyrano) Damien Henno (Christian) Thierry Victor (Le Bret) Stéphane Malassenet (Le Bret) Marta Power-Luce (Harpe) Delphine Latil (Harpe) Sarah Massuelles (Harpe) Maxime Perrin (Accordéon) Alexis Collin (Accordéon)