RICHARD II

Texte
Shakespeare
Mise en scène
Christophe Rauck

Dès les premiers instants et jusqu’au terme de son spectacle Christophe Rauck inscrit son Richard dans un parti pris crépusculaire. Sa mise en scène annonce les tourments et les guerres à venir, initie la tétralogie de « l’Henriad» jusqu’au plus connu Richard III (écrit pourtant un an avant Richard II). Énorme cycle où l’auteur fait tourner la roue de l’histoire, dans un recommencement infini de triomphes et de chutes, d’élévations et de dépositions.

Au commencement, un voile de tulle nous sépare du théâtre des opérations politiques. Un plateau plongé dans une nuit d’où émergent seulement des cercles de lumières où des pantins s’agitent. Lointaine Angleterre. Lointaine querelles cinq fois centenaires. En quoi peuvent elles encore nous émouvoir, nous concerner ? C’est la question qui arrête certainement de nombreux metteurs en scène. Richard II est très peu monté.

Il faut aussi dire également que c’est la pièce d’un Shakespeare dont la plume alterne le sublime avec l’empesé. Son art du récit manque de clarté et sa prose parfois de poésie, au profit de longues paraboles syllogistiques. Il n’est pas encore l’auteur génial. Il ne l’est qu’à demi. Richard III a régné bien après Richard II, mais le grand Will a choisi de ne pas respecter la chronologie pour écrire et monter les deux drames à un an d’intervalle. Richard III est écrit avant mais avec plus de maturité pourtant. Destins croisés et opposés de deux textes mais aussi de deux rois. L’un manipule et complote, l’autre se prend lui-même les pieds dans le tapis du pouvoir et se désempare de la couronne. La réussite littéraire de Shakespeare semble ici attachée à la hauteur de ses personnages. Chaque fois que le roi parait sur le plateau, il prend, avec cette altesse, son altitude d’écriture. Cela est heureux car c’est à ces moments-là que paraît Micha Lescot.

Ce projet naquit d’ailleurs de son souhait à Christophe Rauck : « Fais-moi Roi de Grande Bretagne, Richard II de Shakespeare. Ce qu’il perd moi je le gagne. Je m’élève quand il expire ». Lescot joue comme Richard gouverne, avec étrangeté, en suspension, comme en dehors de toute réalité. Il joue et règne sur la scène comme un danseur de corde au-dessus du vide. Élégance de bouffon agile avant la chute. Empire de la fragilité.

Il anticipe « Le reste est silence » d’un Hamlet quand il lâche dans un souffle, quittant la scène, rompu et sans couronne : « Le reste sera dit par la douleur ». Il se détache d’une mise en scène fondue au noir. Pour mieux aller au tombeau. Car Christophe Rauck fait bien de sa mise en scène un « tombeau », comme l’on disait « écrire un tombeau » pour composer un poème de deuil. Micha Lescot et son Richard II rejoignent aussi Richard Gloucester. Son « Mon royaume pour une tombe » résonne fortement avec le « Mon royaume pour un cheval ». Costume blanc des pieds à la tête, crinière blanche en arrière. Il est le cheval blanc de l’écume, il est le linceul. Si seul. Sa grâce est une maladresse. Il déambule son pouvoir comme l’albatros de Baudelaire sur le pont de la trivialité des hommes. Son jeu transforme la masse indéterminable des autres personnages en ce qu’ils sont : charognards, pigeons ou corbeaux. Oiseaux de bas lignage.

Ce qui est admirable dans la mise en scène de Christophe Rauck n’est donc pas la figuration, ni le récit détaillé, d’une intrigue politicienne, mais la mise en action d’une machine absurde, la machine de l’histoire, machine à broyer.

– Rumeur permanente d’une musique lancinante et inaudible.

– Ressac de l’océan projeté en vidéo sur la scène et ensevelissant les personnages, achevant l’idée d’un progrès possible.

– Tribunes mobiles de la Chambre des Lords roulant et tournant autour d’un axe invisible pour mieux écraser les humains, telle la roue de pierre d’un moulin inexorable : la destinée humaine.

Il nous donne un spectacle brutal pour une œuvre indémodable. Il nous rappelle la formule sans espoir de Macbeth : « La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. » (Acte 5, scène 5)

Texte
Shakespeare
Mise en scène
Christophe Rauck

Avec Louis Albertosi, Thierry Bosc, Éric Challier, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel, Pierre-Thomas Jourdan, Guillaume Lévêque, Micha Lescot, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente, Adrien Rouyard
Dramaturgie Lucas Samain
Musique Sylvain Jacques
Scénographie Alain Lagarde
Lumière Olivier Oudiou
Vidéo Étienne Guiol
Costumes Coralie Sanvoisin
Masques Atelier 69
Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar

Du  2 au 22 décembre 2023

Théâtre des Amandiers.

https://nanterre-amandiers.com/evenement/richard-ii-shakespeare/

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