C’EST A CAUSE D’ELLE

De Andreï IVANOV (Moscou)
Mise en scène de  Monika DOBROWLANSKA (Berlin)

Après « Art » de Yasmina Reza en 2017 l’association  » Demain le Printemps » associée à l’ambassade de Biélorussie offre à nouveau l’opportunité au public français d’appréhender la tradition de l’école théâtrale russe et soviétique, basée sur le système Stanislawski.

Le théâtre invité, le RTBD (Théâtral Républicain de la Dramaturgie Biélorusse) créé en 1990 à Minsk a pour mission d’apporter une aide pratique aux dramaturges biélorusses débutants afin qu’ils se familiarisent avec les impératifs et les contraintes de la scène. Ce théâtre national mène un travail individuel avec les dramaturges: lectures de pièces, séminaires de rencontre avec des metteurs en scène et autres spécialistes. C’est du laboratoire d’écriture du RTBD qu’émerge, en seulement une semaine, « C’est à cause d’elle », pièce à deux personnages et un(e) pianiste. L’oeuvre est créée en biélorusse, langue titulaire nationale à égalité officielle avec le russe mais parlée par moins de 10 % de la population (les estimations variant entre 5 et 20 % selon les sources… et les susceptibilités). La représentation étant surtitrée en français.

La fable est inspirée d’un fait divers (le théâtre documentaire rencontre les faveurs des dramaturges et du public de langue russe actuels), un phénomène de société plus courant qu’on pourrait croire dans ce pays où l’on prétend que le stéréotype de la mère biélorusse en remontre à la juive.

Depuis la mort du père, le fils unique s’est enfermé dans une spirale morbide, notamment envers sa mère, accablée de tous les maux. L’adolescent lui refuse toute communication, exilé du monde, mollement concerné par la compétition scolaire, il est constamment connecté au réseau en tant que « Corbeau de la tour ». Folle d’inquiétude la mère s’invente un avatar pour se reconnecter à son fils via le web. Une relation complice se noue alors entre la jeune gothique imaginée et l’adolescent tourmenté…

On sent très vite que la chose va mal finir. Quand la tragédie classique trouve son acmé dans les déchirements d’une même fratrie, les contraintes économiques du théâtre d’aujourd’hui (un minimum de comédiens sur le plateau) resserrent encore davantage la crise dans un précipité tragique pour deux personnages, un complexe d’ Oedipe inversé, entre mère et fils torsadant le fil de l’intrigue jusqu’aux limites du cassant.

Le texte, déjà traduit et joué dans quatre langues, ainsi que le jeu des comédiens (Ludmila Sidorkevitch et Dmitri Davidovitch) puissants et subtils évite tout manichéisme : les inquiétudes et le stratagème de la mère nous paraissent légitimes et l’on glisse doucement avec elle de « l’expérience pédagogique » vers l’inceste virtuel. Sa vie est également dévastée depuis la mort du mari et quand les tentatives pour raisonner son fils via l’avatar gothique piétinent, quand les hurlements s’intensifient entre eux dans l’appartement lors même qu’ ils s’apprécient tant sur le réseau on pardonne sa jubilation, on l’absout du jeu dangereux qu’elle n’a d’abord pas perçu -sa génération ignorant l’intensité des relations pouvant naître du virtuel- avant d’y succomber, devenue addict à son tour.

On étouffe dans cet appartement, lieu unique de l’action : Deux bancs collés à leur cloison sur roulettes, déplacés par les comédiens eux-mêmes pour quelques variations et respirations car c’est en effet une gageure que de mettre en scène pendant plus d’une heure deux personnages tapotant chacun sur leur clavier. Mais la metteuse en scène, Monika Dobrowlanska, s’y tient variant les postures corporelles, les positionnements sur le plateau, alternant fixations et déplacements et direction des adresses (les narrations destinées au public par chacun des personnages sont d’ailleurs très nombreuses dans le texte).

On s’échappe un peu en visitant l’usine dont il est question dans leurs échanges épistolaires par des projections vidéo sur les deux cloisons mais l’usage de la vidéo vient surtout appuyer l’intensité émotionnelle par des gros plans sur les mines renfrognées du fils ou sur les larmes de la mère. Attention ! Dans ce spectacle, on rit aussi : devant les maladresses de la mère aux prises avec les usages et le vocabulaire adolescents sur internet.

La musique, enfin, et même la musicienne (car la pianiste est visible sur le plateau, réagissant en spectatrice : soucieuse ou souriante aux péripéties de cette aventure romanesque) accompagne l’action, ponctuant les dialogues vers la crise mais nous soulageant aussi par quelques solos après les tempêtes, indispensables évasions d’un jeu dont on redoute la fin mais dont, nous aussi, spectateurs peinons à nous détacher, pris entre les sourires et frissons composant le filet de ce sulfureux badinage.

   

Avec : Dimitri DAVIDOVITCH, Ludmila SIDORKEVITCH
Vidéo en direct : Igor VEPCHKOVSKI
Accompagnement musical : Tatiana PANASSIUK

Décors : Andréï JIGOUR

Les 3  et 4 mai 2018 à à 20h30 au Théâtre de l’ATALANTE (10, place Charles Dullin 75018 Paris)

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