De Johann-Christian-Friedrich Hölderlin
Mise en scène Bernard Sobel
Bernard Sobel nous entraîne sur les pentes raides, mais vivifiantes, de l’Etna. Le chemin est rude et sans concession, mais il y règne la force de la pureté, le grand air des hauteurs. Un chemin de théâtre, ou plutôt une ascension qu’il mène depuis tant de décennies, et jusqu’à ses quatre vingt neuves années.
Comme Pausanias fidèle à son Empédocle, Sobel est fidèle à son éthique du plateau, de la représentation : la voix nue des comédiens (sans ses sonorisations qui désincarnent la voix humaine), sans musique ajoutée (sensée flécher nos émotions?), sans effets de lumière (quelques projecteurs minimalistes mais justifiés suffisent), mais avec la confiance dans l’acteur, son corps et son art, la confiance dans le texte. Exigences nouées d’Empédocle/Sobel pour ne jamais céder le fond pour la forme.
Le texte est difficile, mais son poids de dépression et d’ennui possible, n’est pas redouté ou allégé pour éviter de fatiguer ou de perdre, justement, le public. Le public de théâtre doit être, par essence, un public à l’effort, engagé. On le comprend, il est autant question de la trajectoire d’un misanthrope adoré, puis sacrifié, pour s’être élevé au-dessus de la masse et donc d’un questionnement sur la dialectique entre le singulier et l’universel dans l’espace démocratique, que de la transmission d’un homme de théâtre au crépuscule de son parcours d’artiste.
« Crépuscule » est le terme exact, car il fait le lien avec Nietzsche. On sait que le personnage d’Empédocle avait inspiré à Nietzsche le projet d’une tragédie, jamais composée mais dont il reste des plans de travail. Cent ans après Hölderlin. Même sans cette tragédie, on perçoit à chaque pas du texte combien Nietzsche, a pu y trouver ou y retrouver sa thématique profonde. Empédocle-Zarathoustra même combat. De s’élever au-dessus de la médiocrité, l’homme égalant les dieux, ou le surhomme, sont voués à la solitude et à la haine du commun.
Et c’est là une thèse scandaleuse en 2024, dire sur le plateau : « Il vaut mieux sacrifier toute une cité de fous, qu’un seul être supérieur. » Ou encore , « Courrez vers l’abîme, vous les anonymes ! ». Il est salutaire d’y entendre en écho à l’Alceste de Molière, cent ans plus tôt cette fois : « Le désert m’accueille… » comme l’éternel retour d’un « Et, parfois, il me prend des mouvements soudains, de fuir, dans un désert, l’approche des humains. » Thèse courageuse pour un metteur en scène qui porta toujours haut l’idéal marxiste, si ce n’est communiste.
Les comédiens Matthieu Marie (Empédocle) et Laurent Charpentier (Pausanias), sont à la hauteur de l’exigence de leur metteur en scène. M. Marie va en se densifiant au fur et à mesure de l’œuvre. Tout d’abord éthéré et didactique, philosophique, il se remplit de chair, de sentiments et d’âme en approchant de son terme mortel. Laurent Charpentier tient, lui, la note haute de bout en bout. Il entre, parle et on l’écoute, on vibre avec lui. Son engagement est total. Son Pausanias intéresse et émeut au plus au point. Le disciple se hisse au niveau des maîtres.
« C’est dans la mort que je trouve le vivant. » lâche Empédocle arrivé au zénith, avant la chute dans le magma. Mais pas tout de suite, pas tout de suite encore…
De Johann-Christian-Friedrich Hölderlin
Traduction Jean-Claude Schneider
Mise en scène Bernard Sobel en collaboration avec Michèle Raoul Davis
Dramaturgie Daniel Franco
Scénographie sous le regard de Richard Peduzzi
Réalisation banderole Lise-Marie Brochen
Création sonore Bernard Valléry
Lumières Laïs Foulc
Assistant·es mise en scène Mirabelle Rousseau, Sylvain Martin, Yuna Buet
Avec Julie Brochen, Marc Berman, Valentine Catzéflis, Laurent Charpentier, Claude Guyonnet, Matthieu Marie, Gilles Masson, Asil Raïs, et des élèves de la Thélème Théâtre Ecole : Tiffany Arino, Leone Ferret, Julien Le Lons, Thibaut Saint-Louis, Samy Taibi, Ramy Taibi, Alma Teschner, Lucie Weller