DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON

De Bernard Marie-Koltès
Mise en scène et scénographie : Alain Timár

Dans « Prologue », l’un de ses textes, Bernard-Marie Koltès écrit en substance que « Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, c’est la diplomatie, qui est le commerce du temps. ». On le sait, l’auteur avait une vision plutôt pessimiste des rapports humains. Pour lui, tout doit se terminer logiquement dans le conflit qu’il soit verbal ou au corps à corps.

« Dans la solitude des champs de coton », composé d’une seule scène, se déroule dans un lieu et un temps indéterminés, et met en scène deux protagonistes, un dealer et un client. Ce dernier, en costume impeccable erre, hagard, dans un décor post-industriel, désaffecté, aux vitres brisées, le végétal s’infiltre dans les pans de mur fissurés et les feuilles mortes recouvrent un sol abîmé. Dans ce lieu, où même le temps est indéfini, une batterie impose un tempo arythmique et violent. Quand pénètre le dealer au pas plus assuré, et à l’approche féline, le client se raidit, comprenant son statut de proie. S’impose une première marque de domination par le corps et le mouvement, avant que le verbe ne vienne compléter l’ensemble.

Rien n’est simple chez Koltès et le rapport de forces dominant/dominé, présent dès le début n’est d’abord pour lui qu’une manière de nous dire que les deux protagonistes se valent l’un et l’autre. Le dialogue qui va suivre se présente sous la forme d’une transaction commerciale qui doit satisfaire les deux parties. Mais quelle peut bien être la nature de la marchandise que veut vendre le dealer à ce client qui semble ne rien désirer ?

L’impuissance absolue du langage se manifeste assez vite. Alors, il va falloir que les masques tombent. Et ça va d’abord passer par les vêtements, signe de marqueur social. L’un enlevant sa veste et sa chemise, l’autre son blouson, il ne reste plus ensuite que cette terre glaise dont ils s’enduisent le visage et le corps pour tenter de retrouver un équilibre que le vernis de la civilisation aurait tenté de gommer. Puis c’est le corps à corps, le conflit physique, expression ultime des rapports entre individus. Même en terrain neutre, la langue poétique, vecteur d’apaisement, d’harmonie et de compréhension, échoue sur la plage de l’incommunicabilité intrinsèque à la nature humaine.

On comprend alors le grand désespoir porté par Koltès dans toute son œuvre, celui d’une impossible fraternité entre les êtres, dans une société sclérosée par les différences et les antagonismes.

Emmenée par les excellents Robert Bouvier et Paul Camus, eux-mêmes accompagnés par la batterie de Pierre-Jules Billon, la mise en scène d’Alain Timár, également plasticien et scénographe, donne au texte un écrin à sa juste valeur, à la fois par son travail avec les comédiens sur le verbe, le corps et les trajectoires (les déplacements sont millimétrés) que par le décor, immersif, évoquant une usine désaffectée. Cette nouvelle adaptation qui aurait pu souffrir de la comparaison des multiples mises en scène depuis sa création en 1987, donne toute sa force dès l’ouverture sans jamais un seul instant faire retomber la tension.

© Photographies : Thomas O’Brien

Texte: Bernard Marie-Koltès
Mise en scène et scénographie : Alain Timár
Assistantes à la mise en scène : Klee Fou Messica et So Hee San

Interprétation : Robert Bouvier, Paul Camus
Musicien : Pierre-Jules Billon
Lumière : Richard Rozenbaum
Sonorisation et régie : Quentin Bonami
Décor et accessoires : Jérôme Mathieu et Eric Gil

Texte publié aux Editions de Minuit
Coproduction : Compagnie Timár et Théâtre des Halles

http://www.theatredeshalles.com/pieces/solitude-champs-de-coton/
https://vimeo.com/214479988

D 6au 29 juillet 2017 au Théâtre des Halles (Avignon –Festival OFF 2017)

Vu le 19/07/2017 au Théâtre des Halles (Avignon –Festival OFF 2017)

 

 

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