De William Shakespeare
Mise en scène Xavier Lemaire
Que reste-t-il des spectacles que nous voyons ? Que me reste-t-il du Hamlet de Patrice Chéreau en 1988? Gérard Desarthe se battant avec son âge pour retrouver en lui la jeunesse d’un prince. D’un cheval noir aussi, heurtant le plateau de ses sabots. Un spectre en crinière. Hamlet est, entre autre, une pièce sur l’affrontement du présent contre ses ennemis mortels : le passé et l’avenir. To be or not to be. La question est à l’infinitif. A l’interpellation du prince : « Est-ce une femme que tu enterres ? » Le fossoyeur lui répond : « Non. Une créature qui était une femme. » Hamlet est la question que pose le théâtre. Comment créer le présent? De l’éphémère qui dure en s’effaçant? Comme ce nuage qui, un instant seulement, figure un chameau. Que restera t-il de la mise en scène de Xavier Lemaire? Son humilité tout d’abord face à l’œuvre, sa volonté de la servir et non de s’en servir. Son excellent travail sur un texte direct et parfois rude, en prise avec le grand écart permanant du théâtre élisabéthain, voguant entre poésie raffinée et argot de taverne. Il fait le bon choix en coupant les cinq heures de pièces, pour rendre sur deux heures trente le nerf et le muscle de l’intrigue avec une fluidité revendiquée et réussie. Il ne faut pas avoir envers l’unité de l’œuvre plus de révérence que l’auteur n’en avait lui-même. Au grès du succès, de l’absence de tel ou tel, on n’hésitait pas au Globe à retrancher, ajouter, modifier. Heiner Müller a créé un Hamlet-Machine. De manière prosaïque, on peut, avec honnêteté, monter un Hamlet-Mécano. Mécano qui se retrouve dans le dispositif scénographique et le décor. Deux praticables roulant s’assemblent comme ceci, comme cela, pour figurer une esquisse de remparts, la cour, un cimetière. La scène du fossoyeur est d’ailleurs la partie la plus réussie, un magnifique moment de théâtre, où tout s’agence parfaitement. On se souviendra aussi d‘un merveilleux Polonius (D. Niverd). Vieillard servile, enfantin et gourmand dans sa bêtise courtisane. Pour ce qui est de Gregori Baquet, difficile de dissocier sa performance de l’ensemble. Hamlet c’est Hamlet. Il est partout, à la fois ciment de toutes les intrigues, mais aussi acide disjoignant les semblants. Si La tempête est une pièce testament sur l’essence du dramaturge, Hamlet est une pièce manifeste sur l’essence du comédien. Shakespeare a d’ailleurs joué un premier Hamlet (l’original de Thomas Kyd retrouvé il y a peu par G. Mordillat), avant d’écrire le sien, à partir de son expérience sur le plateau. « Que lisez-vous là ? » demande Polonius à Hamlet. « Des mots, des mots, des mots. » « Et quelle en est la matière (en anglais : « matter » a le double sens de question et de substance? », « Des mensonges. » répond le Prince (Acte 2, scène 2). Ce dialogue équivaut au célèbre « To be, or not to be, that is the question. » qu’il anticipe. Comment vivre si l’homme n’est qu’un comédien sur la scène du monde? Comment jouer si représenter n’est qu’un semblant vide d’existence ? X. Lemaire met bien en valeur le célèbre manifeste de Hamlet aux comédiens : « N’est-ce pas monstrueux que ce comédien, ici, dans une pure fiction, dans le rêve d’une passion, puisse si bien soumettre son âme à sa propre conception, que tout son visage s’enflamme par sa pratique, qu’il a les larmes aux yeux, l’effarement dans les traits, la voix brisée, et toute sa personne en harmonie de formes avec son idée ? Et tout cela, à partir de rien (…) Et moi donc, un vaurien fait d’une boue vindicative et terne, rêvasseur affaissé, impuissant pour ma propre cause, je ne trouve rien à dire, non, rien(…) ». Jouer est un semblant juste qui contient plus d’existence et de vérité que la comédie humaine. X. Baquet se bat sans relâche avec ce paradoxe impossible à résoudre, jouer ou ne pas être Hamlet. Il souffre, sombre dans le vertige, l’ironie et le doute. Comme son personnage, il subit tout sans se résigner à rien. Et fait finalement lever un long tonnerre d’applaudissements d’une salle comble, qui le délivre enfin de son spectre.
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Crédit Photos: Lot
De William Shakespeare
Mise en scène Xavier Lemaire
Avec :
Grégori BAQUET Hamlet
Christophe CHARRIER Horace
Pia CHAVANIS Ophélie
Julie DELAURENTI Gertrude, Reine de Danemark
Olivier DENIZET Guildenstern, le 2e paysan, Osric
Laurent MUZY Barnard, le 1er comédien, un garde
Didier NIVERD Polonius, le prêtre
Manuel OLINGER Claudius, Roi de Danemark
Stéphane RONCHEWSKI Rosencrantz, le 1er paysan
Ludovic THIEVON Marcel, le 2e comédien, un garde, un messager
Philipp WEISSERT Laërte, Francisco, la comédienne
Décors : Caroline MEXME – Costumes : Virginie H – Lumières : Didier BRUN
Musique : Frédéric JAILLARD – Maître d’armes : François ROSTAIN – Graphisme : Véronique FIGUIÈRE
Du 9 mars au 22 avril 2018 au Théâtre 14.