JACQUES ET CHIRAC

De Régis Vlachos

Mise en scène : Marc Pistolesi

L’épopée présidentielle de Jacques Chirac ressemble à une comédie burlesque. Régis Vlachos retrace avec verve l’ascension irrésistible d’un opportuniste hédoniste dépourvu de tout scrupule.

Le trio d’acteurs que forment avec Régis Vlachos, Marc Pistolesi et Charlotte Zotto va, entre reconstitution des Guignols de l’info, jeux télé, actualités de l’époque, scènes familiales et confessions, nous faire revivre le destin politique et personnel d’un homme qui a été  quatorze ans durant l’image de la République française. 

La jeunesse communiste du jeune Jacques ne fut qu’un feu de paille, que le goût de l’argent consuma rapidement. L’enfance du chef, indissociable des liens de  Chirac le père (Abel) avec Marcel Dassault, le grand industriel rescapé des camps nazis est en effet taillée dans les sillons amers du mariage de la Vème République avec l’argent. C’est à l’aune d’une relecture satirique d’un régime voulu par De Gaulle que Régis Vlachos lit le destin du grand Jacques. La fascination de l’argent, le pouvoir monarchique conféré au chef de l’Etat, la toute-puissance d’une fonction hyper présidentielle ont fait de Chirac un despote corrompu. Parce que Dassault à tout financé, du RPR aux marchés juteux en Afrique et aux organes de presse du Président comme L’Essor du Limousin. En même temps que le procès d’un homme et d’un système, on assiste halluciné à l’hilarante ascension d’un personnage haut en couleurs, fervent amateur de femmes, qui apparaît aux bras d’une Américaine dansant comme  un French Gene Kelly. Mais la sincérité du jeune homme a ses limites et il sait se plier à ses devoirs familiaux en renonçant à l’amour pour accomplir un mariage de raison avec une aristocrate, Bernadette Chodron de Courcel.

La nomination du jeune Chirac au poste de secrétaire du cabinet du Premier ministre Georges Pompidou par les offices de Dassault lance sa carrière politique. Élu député ensuite, il fonde le RPR et finira au sommet de l’Etat. Roi mis à nu et apparaissant en slip bleu, blanc, rouge, la jovialité du personnage, débonnaire et bon vivant ne peut plus dissimuler ses noirceurs derrière le masque qu’il affectionnât toute sa vie, celui de l’idiot. 

Voleur invétéré des deniers des richesses de l’Afrique, amis des dictateurs, jouisseur despotique, menteur frénétique, tricheur,  Jacques ne peut plus cacher Chirac.

Bravo à ce trio déjanté qui nous offre un show digne de la satire rabelaisienne, entre rire gras et  suprême sérieux.

De Régis Vlachos (La Compagnie du grand soir)
Marc Pistolesi – Mise en scène
Marc Pistolesi – Interprétation
Régis Vlachos – Interprétation
Charlotte Zotto – Interprétation

LA LETTRE

    © Philippe Laurent

Texte: Milo Rau et l’équipe

Mise en scène: Milo Rau

La Lettre de Milo Rau s’inscrit dans l’orbite du théâtre populaire et pose de fait la question de la pertinence de ce concept. Le théâtre dit populaire suppose-t-il de rendre possible la pratique théâtrale à ceux qui en sont exclus, quitte à niveler les exigences du sixième art ou au contraire à hisser le peuple au niveau de cet art majeur, qu’est le théâtre ? Commande du Festival d’Avignon, la pièce du Suisse Milo Rau a été créée dans le cadre du projet Pièce Commune/ Volksstûck qui consiste pour les acteurs à s’emparer d’une forme courte et plutôt légère pour se produire successivement dans des banlieues, des zones périphériques ou des villages. Les acteurs de la performance signée La Lettre sont ici Olga Mouak et Aren De Tremerie. Les deux acteurs se sont rencontrés précisément lors d’une audition pour La Mouette, où ils n’ont pas été retenus. Un fil intime, autobiographique  et forcément sincère constitue l’armature de cette performance. Arne avait une grand-mère présentatrice vedette à la radio flamande et qui toute sa vie rêva d’incarner  La Mouette. Quant à Olga, au prénom tchekhovien, elle est originaire d’Orléans, à des racines camerounaises et réunionnaises et rêve elle de pouvoir incarner un jour la figure de Jeanne d’Arc, malheureusement confisquée par la droite française. Le théâtre apparaît comme une affaire de famille, le point d’orgue d’une vie. Chacun dialogue avec ses ancètres en même temps que le public qui le souhaite est invité à dire certaines répliques de Tchekhov (écrites sur des cartons), en particulier celles de Constantin, l’apprenti dramaturge éconduit au destin tragique. Ce fil narratif est teinté d’émotions parce qu’il tisse le lien entre les générations, entre la fiction et la vie, les destins croisés d’Arne et de sa grand-mère, Olga et sa grand-mère morte brûlée vive dans un accès de schizophrénie. Et l’on entend Les Échos entre l’héroïne de La Mouette,  comme ceux  entre Constantin, dramaturge précurseur d’un théâtre nouveau et Milo Rau. Malheureusement, la trop grande légèreté du propos, comme en témoignent le traitement burlesque des personnages de La Mouette ou la pancarte brechtienne scandant « Critique du théâtre bourgeois », rend le tout un peu déroutant. Par ailleurs, si Olga Mouak manifeste un juste talent, Arne De Tremerie en fait visiblement trop. On reste donc un peu perplexe à la vision d’un spectacle qui n’a de populaire que sa légèreté et dont on ne perçoit pas bien les enjeux. Car qu’on ne dise pas que le public de surcroît lettré d’Avignon ou un autre se mue en acteur dramatique à dire quelques répliques ou à faire défiler des pancartes commentant les scènes. Malgré la dévotion que l’on peut avoir pour Milo Rau et ses intuitions théâtrales prodigieuses, les carences du texte et de la dramaturgie disent limites d’un certain théâtre populaire.

Texte Milo Rau: et l’équipe

Mise en scène: Milo Rau

Avec Arne De Tremerie, Olga Mouak, et les voix de Anne Alvaro, Isabelle Huppert, Jocelyne Monier, Marijke Pinoy

Dramaturgie: Giacomo Bisordi

Assistanat à la mise en scène Giacomo Bisordi, Edward Fortes

Scénographie, son, lumière, costumes et accessoires: Milo Rau et Giacomo Bisordi

Assistanat costumes et accessoires: Julie Louvain

Régie générale de l’itinérance: Emmanuel Rieussec

Régie générale de la production: déléguée Laurent Berger

Régie son: Sébastien Dorne

Festival d’Avignon, en itinérance
du 8 au 26 juillet 2025, à 12h30, 20h ou 21h

Festival d’Aurillac
du 20 au 23 août

Théâtre du Point du Jour, Lyon
du 1er au 3 octobre

Théâtre Les Halles, Sierre (Suisse)
les 21 et 22 novembre

Scène 55, Scène conventionnée d’intérêt national Art & Création, Mougins
le 23 janvier 2026

Théâtre Silvia Monfort, Paris
du 28 au 31 janvier

Théâtre de la Manufacture, Centre dramatique national Nancy-Lorraine
du 20 au 22 mars

Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national
du 20 au 30 mai

MADAME BOVARY EN PLUS DROLE ET EN MOINS LONG

de Camille Broquet et Marion Pouvreau

Mise en scène par Edward Decesari

 

 

On gage que la lecture imposée de Madame Bovary vous a laissé un goût amer en bouche. De l’inanité d’étudier les chefs d’œuvre de la littérature française comme Madame Bovary au lycée. Ou pas…  C’est la question qui traverse le spectacle de Camille Broquet et Marion Pouvreau, Madame Bovary en plus drôle et moins long, fruit de l’ennui éprouvé durant leurs années lycéennes et qui rend paradoxalement un hommage appuyé, littéraire et féministe à ce roman culte. Mourir d’ennui au lycée devant les leçons passablement inspirées de son professeur de français peut être le gage d’une redécouverte enchantée vingt ans plus tard. Comme si l’ennui, celui des lycéennes et celui d’Emma se faisaient écho. La littérature est chose sérieuse et les autrices et interprètes le savent et le clament à leur manière, drôle et déjantée.  Parce qu’il est vrai que l’on rit beaucoup et que l’on savoure en permanence le récit faussement décalé et  l’histoire de l’illustre Emma raconté à l’aune de leur passé de lycéennes mourant d’ennui à la lecture de ce classique qui les dépasse. Et pour cause. Pas parce qu’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans mais parce qu’il faut sans doute l’épaisseur du temps qui passe pour éprouver cet ennui qui est le cœur du roman de Flaubert. Et tout est là. Ces comédiennes ont tout compris à l’œuvre de l’illustre normand, avec la maturité et le font savoir. L’essentiel y est et la formule du café-théâtre choisie pour conter l’histoire d’Emma ne rompt absolument pas la pertinence de la compréhension qu’elles offrent de l’œuvre. Au contraire, et on jure que Flaubert aurait aimé cette façon crue de dire la bonté de Charles Bovary, la mélancolie et la duplicité de Léon, le ridicule du pharmacien Homais, incarnation de la bêtise crasse de la bourgeoisie, la masculinité triomphante et perverse de Rodophe, ou encore les comices et l’opération ratée du pied bot. L’épopée d’Emma est retracée dans chacun de ses contours essentiels, de la rencontre avec le gentil médecin Charles et de l’ascension possible qu’il représente vers une élévation synonyme pour Emma de bonheur, au bal  chez les aristocrates qui constitue l’acmé de la félicité pour Emma, à la vie provinciale étriquée et pourvoyeuse d’ennui pour l’héroïne qui, l’âme emplie de rêves et d’idéal, ne peut se contenter de la réalité plate qui est le lot des femmes à l’époque. C’est aussi tout le mérite de cette création que de mettre l’accent sur la dimension féministe de l’œuvre, qui pointe du doigt l’impossibilité pour la femme de réaliser l’idéal d’une vie, hormis dans la passion amoureuse. Là est la gloire d’Emma et la honte de Rodolphe et de Léon, qui non contents de séduire une femme mariée, l’abandonnent une fois la satisfaction passée. On adore la réécriture de la lettre de rupture de ce Rodolphe, modèle du genre de l’infâme goujat qui a l’audace d’écrire une lettre à une femme qu’il ne désire plus en jouant la carte de la raison. Où les évocations de l’ennui existentiel d’Emma, incarnation d’un être empli des idéaux romantiques du siècle et que la plate réalité déçoit. On rit aussi beaucoup encore à la mention récurrente de cette pauvre enfant du couple Bovary, Berthe, qui n’intéresse personne, pas même Flaubert. C’est que l’œuvre de Flaubert est une charge contre son temps, la bourgeoisie bien sûr et sa bien pensance, l’absence de perspective autre que le mariage pour la femme, les Romantiques et leur idéalisme qui les enferme. En contrepoint à l’odyssée chagrine d’Emma, les comédiennes tissent un lien avec leur propre histoire, comme si l’histoire des femmes et celle de l’ennui trouvaient un écho par delà les siècles. Emma vit en Province, comme l’héroïne qui a quitté Paris avec l’abandon des rêves qui accompagne cet exode. Bravo à ces comédiennes qui paraissent si bien aimer Flaubert et son Emma et nous offre une version hilarante et euphorique d’Emma Bovary.

© Philippe Laurent
© Philippe Laurent

Interprètes : Camille Broquet et Marion Pouvreau (en alternance) / Sarah Boulnois (en alternance)

Avignon Off

du 4 au 26 juillet 2925 à 11h45 au théâtre des corps saints

Durée : 1h15