LA FEMME COMME CHAMP DE BATAILLE

L’opus de la Hongroise Bea Gerzsenyi appartient à ces spectacles coup de poing qui nous rappellent que la principale vertu du théâtre est de bouleverser les âmes et les consciences. Écrit en 1994 par l’auteur roumain Matéi Visniec, La Femme comme champ de bataille émeut autant qu’elle scandalise. Les viols constituent les plus odieux des crimes de guerre même s’ils n’ont été qualifiés définitivement par l’ONU comme crime de guerre et crime contre l’humanité qu’en 2008.

Porté par deux comédiennes exceptionnelles (Cécile Durand et Dimitra Kontou), le dialogue entre l’Américaine Kate et la Bosniaque Dorra exhibe le cauchemar des Balkans, terre de passions et d’excès. La litanie des nationalités, morceau de bravoure de la pièce donne lieu à un fascinant duel entre les protagonistes et la musique traditionnelle de chacune de ces nations, perdues autant que maudites depuis la fin de l’Empire Ottoman ou celle de l’Autriche-Hongrie. Nous sommes les clochards de l’Histoire, clame une voix agonisante de douleur. La violence des nationalistes Serbes en particulier s’éprouve dans le corps à corps poignant que livre la Bosniaque avec le douloureux chant serbe qui exalte toute la mélancolie de ce peuple attachant autant qu’incontrôlable. Comédienne et chanteuse grecque, Dimitra Kontou prête sa voix éblouissante au chant bosniaque. Spectacle musical autant que théâtral, la mise en scène rappelle l’appartenance à la sphère des Balkans du metteur en scène. Remarquable de précision et de finesse, la patte de Stanislavsky porte le jeu de chacune des comédiennes. C’est un fort vent d’Est qui a soufflé ce jour dans la salle bondée de l’Espace Alya. Gageons qu’il reprendra vigueur sous peu…

TICKET

C’est un voyage organisé d’un genre tout à fait spécial auquel est convié le spectateur, ou disons plutôt bousculé, houspillé sous la harangue menaçante d’un passeur patibulaire beuglant ses instructions contradictoires: « baissez-vous! », « Courez! », « Silence », « Donne-moi tes papiers! »

Le spectateur entraîné dans ce spectacle immersif (« Bonheur intérieur brut » est un collectif de théâtre de rue porté vers la performance) découvre ainsi de façon abrupte l’univers du clandestin en route vers le mirage européen, les promesses d’avenir qu’on lui vend ainsi que les menaces qui jonchent l’odyssée en camion, voie moins médiatisée mais plus empruntée en réalité que la route maritime.

Après un parcours derrière le bâtiment du Musée de l’Immigration, le public est embarqué dans un container sombre  figurant l’intérieur d’un camion (claustrophobes, s’abstenir). C’est dans cet espace étroit et angoissant qu’on rencontre des compagnons d’infortune (en alternance: une jeune femme africaine et deux hommes) qui nous racontent les embûches de leur parcours, leurs espoirs et leur doutes. Des sons mal perçus, des extraits documentaires, les bruits menaçants du monde extérieur (conversations dans une langue inconnue, insultes et heurts entre le passeur et d’autres trafiquants d’êtres humains… et même coup de feu) contribuent à alourdir l’atmosphère lugubre de ce lieu noir et clos. Des tractations ont  lieu à l’extérieur,  qui nous concernent, qu’on saisit mal, et dont dépendra l’avenir de tous les passagers ballotés dans ce camion. Insensiblement, l’angoisse nous prend…

Ticket est un spectacle documentaire qui s’inspire de faits réels recueillis par le collectif au cours d’enquêtes sur le terrain et d’entretien avec des chercheurs. Comment peut-on confier sa vie à des inconnus aux promesses incertaines ? Que représente l’embarquement dans un camion qui se déplace, devenant un espace sans lieu, sans repère, sans droit…

Crédit Photos: Agnès Lebeaupin


« Ticket » par le collectif Bonheur Intérieur Brut
Auteur: Jack Souvant
Mise en scène: Jack Souvant
Avec (en alternance):Frank Baruk, Farid Bentoumi, Gilles Guelblum, Tella Kpomahou, Jean Leloup, Minman Ma et Jack Souvant.

Lieu : Musée National de l’Histoire de l’Immigration. 293, Av. Daumesnil – 75012 Paris
Dates: 15/04/2016 – 20/05/2016

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