LES ENFANTS DU DIABLE

De Clémence Baron

Mise en scène : Patrick Zard assisté de Marie Nardon

 

Écrit et interprété par Clémence Baron, avec Antoine Cafaro comme partenaire de jeu, « Les enfants du diable » nous plonge sans détour dans une tragédie oubliée, et ce dès le lever de rideau avec un préalable vidéo insoutenable sur les orphelinats-mouroirs de Ceaucescu.
Le dictateur avait su berner l’Occident avec une politique d’indépendance affichée vis à vis du grand frère russe (en 1968, Ceaucescu condamne publiquement l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie dont la Roumanie est pourtant membre, et refuse que son armée participe à l’opération).
Perçu comme un communiste différent, le dirigeant roumain jouit alors d’une réputation flatteuse en Occident… Ainsi que d’un soutien aussi ferme que discret dans sa résistance à l’impérialisme russe, soutien qui se traduit par l’étouffement des critiques susceptibles d’affaiblir un si sympathique pays. Or, le régime est féroce. Ceaucescu développe une politique d’auto-suffisance et d’exportation des ressources pour drainer les devises qui affame le peuple, soumis en outre à une politique nataliste extrême sans équivalent dans le monde. A l’époque, on critique la politique autoritaire chinoise de l’enfant unique, mais cette politique , dans le privé, a pour conséquence l’enfant-roi (l’enfant unique choyé par l’entourage). En Roumanie, c’est l’horreur : chaque femme doit « produire » 5 enfants sous peine d’amende (l’avortement est évidemment interdite, les moyens de contraception retirés de la vente) alors même que le pays meurt de faim (situation rappelée dans les souvenirs des deux protagonistes de cette histoire). La solution ? Le développement de centaines d’orphelinats où sera déversé le résidu des nombreuses familles incapables de supporter une telle charge. Des institutions à l’entrée desquelles seront triés, à l’instar des camps de la mort nazis, les éléments récupérables, élevés dans l’adoration du régime et de son chef, et montrables au monde dans les «  »casa de copii », et les inutiles (faibles et handicapés), qui croupiront dans la seconde catégorie d’orphelinats, les « Kamin » ( la vidéo initiale nous montre ces enfants abandonnés, parqués comme du bétail humain dans des établissements aux sanitaires inutilisables, baignant dans leurs excréments, attendant la mort, soumis à des hurlements incessants et des violences récurrentes, isolés, hébétés, se balançant d’avant en arrière à longueur de journée).A la chute du régime, brusquement, le scandale éclate tout comme la vérité si longtemps enfouie va surgir cette nuit entre le frère et la sœur séparés depuis 20 ans.Veronica, sauvée par une adoption en France, subit les reproches de Nikki, son frère, resté en enfer, celui qui s’est battu … s’arc-boutant à la promesse, leur serment d’enfants juré sur le lit de mort de la mère: ne jamais séparer la famille.
Dilemme universel, envenimé encore par le drame affectant Milena, la petite dernière de la fratrie: le handicap qui la relègue au « Kamin ». Une faiblesse muée en force pour Nikki, qui s’en est finalement sorti, tout comme cette absence criante de Milena qui appesantit le malaise entre les deux aînés.
Un huis clos lourd de reproches, donc, dans ce morne décor au mobilier en formica et luminaire blafard, rescapés eux aussi des années 70.
Peut-on se libérer du passé quand on est survivant, échapper au sentiment de culpabilité ? A-t-on le droit au bonheur, à une vie normale, à la transmission filiale ?
Forcés par les circonstances, Nikki et Veronica, qui semble avoir réussi sa nouvelle vie en France, parviendront finalement à se parler. C’est un début.

Une pièce coup de poing, portée par la force de la vérité : on perçoit, tout de suite, dans ce texte écorché du vivant la sincérité des situations ; leurs développements et rebondissements sont trop riches et implacablement logiques pour être inventés. Cette vérité nous prend aux tripes. On n’est pas dans du théâtre documentaire, toutefois, et la parenthèse burlesque entre le couple dictateur (Ceaucescu et sa femme, Elena ) surgit à propos pour renseigner ceux qui en auraient besoin.
Clémence Baron incarne Veronica avec un éclat remarquable ; sa souffrance et sa culpabilité nous bouleversent. On espère que son personnage finira par percer l’armure du frère, interprété par Antoine Cafaro, excellent dans la souffrance contenue et une fragilité perçant derrière la dureté.

Mise en scène : Patrick Zard assisté de Marie Nardon

Interprètes : Clémence Baron et Antoine Cafaro

Avignon OFF

Du 4 au 26 juillet 2025 (relâche les 9, 16, 23 juillet) à  14h25  au théâtre ORIFLAMME (L’)
Durée : 1h10

 

 

 

 

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