RECIT DE MON QUARTIER

Récit de mon quartier

De Jean-Jérôme Esposito.
Mis en scène par Julie Lucazeau.

Le quartier, c’est celui de Lou Souleou *, au nord de Marseille, à Sainte-Marthe plus exactement, un endroit populaire au sens le plus noble du terme.

La lumière de la scène du célèbre théâtre marseillais le Toursky est bien celle du soleil où le blanc des quartiers nord, comme Gégé se surnomme, pêche à demi allongé sur un container tel un doux rêveur oisif, volant le temps au temps. Le dispositif scénographique simple et évocateur, avec ce grand B qui évoque le bâtiment de son enfance, et ce micro, permet à ce passionné de boxe et de théâtre de trouver matière à communiquer au spectateur sa fougue et sa joie de vivre tout le long d’un récit bourré d’humour.

A la manière d’un Philippe Caubère, le comédien Jean-Jérôme Esposito, dit Gégé, fils de pieds noirs, endosse le costume d’une multitude de (vrais) personnages pour nous raconter, empreint d’une gouaille à tout épreuve, une partie de sa vie dans ce quartier qui souligne comme jamais la richesse de la cité phocéenne.

De sa mère, Arlette, sévère mais juste, à son père, qui n’est pas peu fier de raconter à tout le monde que son petit vient de tourner avec Mastroianni, c’est un pan de l’histoire de Marseille loin des clichés de la violence, du foot et du pastis, qui nous est donné à voir.

Candide, courageux et impétueux il raconte le tennis à deux rebonds, invention d’un de ses amis pour remporter les matches, son amour de la boxe, son physique trapu et sa difficulté de séduire alors que comme il le proclame «  A 13 ans, je ne pensais qu’à niquer » !!

C’est sans doute cette façon de voir parfois la vie comme un combat qui a permis à ce fils de prolo de se lancer sur scène et de fourbir ses premières armes au cinéma avec des réalisateurs comme Robert Guédigian (imitation hilarante) ou Bertrand Blier, et par la même occasion de pénétrer un milieu social à l’opposé du sien, qu’il ne va cesser de critiquer avec un humour décapant.

Ainsi de sa courte aventure avec une demoiselle « riche » qui le présenta à ses parents, un peu guindés, on retiendra sa flamboyante répartie à leur encontre « Je manque peut-être de savoir-vivre mais je nique ta fille ! ». Et que dire d’autre de ces soirées huppées, bobos, parisiennes, où le langage employé contrastait si violemment avec celui de ses amis et de sa famille, sinon : « ça aurait presque remis en question l’éducation de mes parents ! »

Quand il se fait plus politique, Gégé n’oublie pas les saillies de certains, notamment celles d’un candidat à la présidence de la République qui en 2007, s’était proposé de nettoyer au kärcher les racailles des quartiers, insistant sur le fait que ce langage n’appartient pas aux gens ordinaires qu’il côtoie, mais bel et bien aux mafieux comme ceux du film Scarface, adulé par ailleurs dans les milieux populaires du nord au sud.

Comment en effet ne pas saisir que Jean-Jérôme Esposito veut d’emblée nous interpeller sur l’humanité de ce quartier, où la vie peut être rude mais en même temps si belle, si vive et si joyeuse en opposition frontale à celle que les médias dépeignent à longueur d’audimat ?

Le comédien redonne vie à tout un univers malmené quotidiennement par ceux qui, quand ils n’en font pas un endroit où règne la violence, ne rêvent au final que d’un environnement aseptisé, d’un lieu touristique, où la consommation et l’éphémère masqueraient la diversité culturelle et la générosité humaine qui font la magnificence de cette région.

Laissons alors le mot de la fin à Gégé : « Ils sont beaux les gens de mon quartier et ils me manquent »

* « Le Soleil » en provençal.

Ecriture et interprétation : Jean-Jérôme Esposito

Mise en scène : Julie Lucazeau
Scénographie : Emilie Langlais
Création son : Rit

Vu le vendredi 6 janvier au Théâtre Toursky
Prochaine date :
12 mai espace Nova à Velaux (13)

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Catégorisé comme Théâtre

CYRANO DE BERGERAC

Une version originale de notre Cyrano national, mousquetaire querelleur et poète à la fois malheureusement affublé d’un appendice nasal monstrueux comme son orgueil. Désespéré de l’amour, notre gascon imagine tout de même d’y prendre finalement part grâce à son intelligence et sa plume: il écrira les lettres d’un bellâtre amoureux -mais moins que lui!- de la précieuse Roxane. L’autre l’attirera par son physique, lui la séduira avec ses mots. Un théâtre de cape et d’épée, une comédie romantique au succès tant français qu’international (peut-être même interstellaire) jamais démenti.

On est d’abord accueilli comme au cirque : des clowns divertissent les spectateurs qui s’installent mais des clowns échappés de la piste pour se faire clowns de théâtre car de théâtre il est bien question quand dès les premières répliques on entend le vers sonner clair (récusant les frileux qui appréhendaient pitreries et borborygmes). La diction de ces clowns est excellente ; on « entend » le texte. L’accompagnement visuel et burlesque des mots, la façon clownesque de dire le vers, n’alourdit pas l’alexandrin, au contraire, il lui redonne toute sa verdeur. Mais finalement l’auteur, Edmond Rostand, a clairement entraîné sa « comédie héroïque », comme il la qualifiait, dans le registre burlesque (traiter de façon noble un personnage qui ne le mérite pas) et son inverse, l’héroï-comique (art du décalage qui consiste à traiter un sujet bas en style élevé). Alors pourquoi pas des clowns ?

C’est un spectacle idéal pour les plus jeunes non pas tant à cause des clowns que par la durée de la représentation ramenée à une heure, à l’image des éditions abrégées des classiques qu’on trouve au rayon jeunesse des libraires ; l’essentiel y est. Pour le spectateur averti, quelques clins d’oeil rappellent les scènes escamotées, comme ce visuel faisant référence aux voyages célestes de Cyrano ou encore les apparitions furtives autant qu’incongrues d’un clown péruvien, rogaton peut-être du capucin qui marie Christian et Roxane, personnage travaillé dans une version précédente du spectacle puis abandonné dans celle-ci… ou alors, c’est tout simplement une publicité pour le spectacle d’avant, dans ce même théâtre : « Le petit Chipolata » ?… Tout cela n’est pas sérieux ; on rit et on s’amuse beaucoup avec les comédiens qui interagissent avec le public tout au long du spectacle, invitant même les enfants à monter sur scène.

La scénographie, tout en sobriété, très belle, est ponctuée de trouvailles charmantes, notamment dans la scène du balcon avec l’utilisation d’un micro devant lequel le beau Christian, déjà tant gêné pour rassembler son éloquence devant Roxane, se retrouve pétrifié ; de même au moment du baiser avec la projection vidéo de leur duo dans un petit cerceau tendu sur scène. Poétique encore, le personnage de Cyrano, interprété comme un poète rêveur, bretteur de mots qui ne tire plus l’épée mais plutôt la plume, celle de son chapeau. Le tout accompagné à l’accordéon, bien sûr, car que seraient les clowns sans musique?…

Crédit photo: Christine Le Duc

Mise en scène : Damien Luce

Interprètes : Stéphanie Lassus-Debat (Roxane) Mélanie Le Duc (Roxane) Guillaume Charbuy (De Guiche) Erwan Orain (De Guiche) Damien Luce (Cyrano) Damien Henno (Christian) Thierry Victor (Le Bret) Stéphane Malassenet (Le Bret) Marta Power-Luce (Harpe) Delphine Latil (Harpe) Sarah Massuelles (Harpe) Maxime Perrin (Accordéon) Alexis Collin (Accordéon)

AU BOUT DU ROULEAU

Au bout du rouleau 

Un chômeur prend en otage le leader mondial du papier-toilette afin de rappeler à tous les conséquences insoupçonnées de nos actes de consommation, y compris les plus insignifiants.

Les auteurs de cette comédie à prétention ecolo. et qui en sont aussi les deux comédiens  (Gerard Dubouche de la compagnie «Les pieds tanqués» et Didier Landucci vu dans «Les bonimenteurs») s’appuient sur un ressort classique de la comédie de situation: l’opposition d’un homme d’action efficace (en l’occurence un brillant entrepreneur), bourru et cynique tout à coup empêtré dans une relation à lui imposée par un louseur pitoyable mais finalement attachant (on pense notamment au prototype du genre : «l’emmerdeur» dEdouard Molinaro, dont le scénario est justement tiré d’une pièce de théâtre (« Le contrat » de Francis Veber)  réunissant au cinéma Lino Ventura et Jacques Brel). 

Le duo est très efficace grâce à l’excellente interprétation des deux comédiens. On vire de l’humour à l’émotion, quand ces deux personnalités opposées s’apprivoisent mutuellement, pour finalement même verser dans le drame.

Si le propos de cette comédie est de nous faire réfléchir aux problèmes écologiques, on passe cependant largement à côté, la présentation des thèses écologiques demeurant extrêmement superficielle ; surtout elles sont promues par le personnage de louseur velléitaire, raté et immature ce qui, assurément, n’est pas la meilleure façon de leur donner du credit. Le personnage du chef d’entreprise n’a aucun mal à renvoyer ces généreuses idées au rebut des utopies lénifiantes. On en reste un peu surpris.

On remarquera surtout dans ce conte ecolo. et social la mise en scène et la scénographie toute en sobre esthétique de François Bourcier. Les sorties oniriques et explosives du fil de la narration sont très belles, notamment les projections video qui épousent admirablement les contours d’un décor épuré sur le plateau (on se demande tout de même à quel point cette esthétique correspond au registre comique).

Une comédie, donc, qui n’est pas de mauvais goût mais dont on en ressort avec un goût étrange dans la bouche (il est vrai qu’elle finit tragiquement).

Auteurs & comédiens : Gerard Dubouche et Didier Landucci.
Mise en scène : François Bourcier
espace Alya, 20h25, du 7 au 30 juillet 2016. Relâche le 21 juillet