Auteur Eugène Ionesco
Direction Jean Lambert-wild
La Mort m’a tuer.
Calderon nous disait : « La vie est un songe ». Ionesco termine : « Et la mort est une réalité ». Même si nous en refoulons tous furieusement l’idée, vivant comme des immortels, clowns dérisoires.
Une pièce sur l’extinction. Au delà de l’extinction d’un être, fusse-t-il le point focus de tout l’univers, ce que nous sommes tous, c’est une pièce sur l’extinction. L’extinction généralisée. Gramblanc nous accompagne donc vers les ténèbres, le Gramdnoir. La pièce est d’ailleurs peut-être plus actuelle à notre époque qu’à celle de Ionesco. Toutes les références textuelles explicites à la destruction des rivières, la disparition des forêts, jusqu’à l’effondrement des montagnes elles-mêmes… Extinction d’une civilisation européenne aussi, qui n’en finit plus d’agoniser et de se rétracter comme un trou noir. Il n’y a guère que l’amour que l’auteur fait survivre, mais il ne sert à rien.

Au centre de cette piste aux étoiles mortes il y a Bérenger 1er, ou Gramblanc, ou Jean Lambert-Wild. Choisissez. Pas de jeu clownesque, grandiloquent ou d’une exubérance burlesque. Tout est dans la retenue, la nuance, l’intériorité. Une précision du geste chorégraphié fascinante et hypnotique. Sous de petits gestes, comme un recroquevillement, une maladresse hésitante en approchant l’abîme. Magnifique prélude silencieux, où l’homme marche suivi de l’ombre indétachable de sa mort. Final déchirant d’un corps suspendu entre ciel et terre, où chaque partie, membre, se détache, meurt, comme les membres d’une marionnette dont on couperait les fils un à un. Une force d’émotion toujours juste à laquelle on s’identifie avec beaucoup de douleur. C’est l’approche de notre mort qu’il nous fait vivre ce Paillasse. L’acteur trouve en lui les notes de l’enfance comme de la vieillardise, et toute la mauvaise fois des mauvais perdants que nous sommes quand c’est notre vie qu’il s’agit de perdre. Un grand numéro de tragédie intime.

Il y a certes quelques longueurs rajoutées, des improvisations avec le public dispensables, des accessoires accessoires, qui étirent inutilement le temps là où il devrait se rétracter et se hâter à mesure que s’approche le terme fatal. Quinze minutes peut être qui font sentir le temps long, alors qu’il devrait s’échapper et filer entre nos doigts comme un fluide précieux. Une abondance d’ajouts, contradictoire avec ce chemin de croix, presque christique, vers la disparition.
Qu’importe cette mise en scène du » Roi se meurt » par Lambert-Wild et sa troupe de la Coopérative 326 n’en est pas moins poignante et superbe, à voir donc absolument.
| Auteur | Eugène Ionesco |
| Direction | Jean Lambert-wild |
| Collaboration artistique | Catherine Lefeuvre |
| Assistance à la mise en scène | Aimée Lambert-wild |
| Scénographie | Jean Lambert-wild, Gaël Lefeuvre |
| Avec | Vincent Abalain, Vincent Desprez, Nina Fabiani, Aimée Lambert-wild, Jean Lambert-wild, Odile Sankara, et le petit cochon Pompon |
| Lumières | Marc Laperrouze |
| Costumes | Pierre-Yves Loup-Forest |
