LA GRANDE DEPRESSION

Texte Raphaël Gautier

Mise en scène Aymeline Alix

« La Grande dépression » se révèle être bien plus qu’une simple chronique de désespoir. Elle est une autopsie de notre société, une dissection des maux qui la rongent. La pièce se dresse comme un monument fragile de la désolation contemporaine. Aymeline Alix, avec une précision chirurgicale, met en lumière les rouages d’un système de politisation de l’imaginaire tout autant que d’imaginarisation du politique. Ce n’est pas simplement une pièce, c’est une plongée abyssale dans l’inconscient d’une société du spectacle, où les âmes errent, perdues dans le labyrinthe d’Alice au pays des merveilles. Une Alice en larmes.

L’univers Disney, dans « La Grande dépression » de Raphaël Gautier, ne sert pas de simple décorum, mais s’inscrit au cœur même de la problématique de la pièce. Il est utilisé comme un symbole puissant, une métaphore de l’illusion, de l’évasion, et de la manipulation des masses.

DR R. Bertereau

Illusion et évasion : Disney représente le rêve américain, l’espoir d’un monde meilleur, une échappatoire face à la dure réalité de la Grande Dépression. Les personnages, en proie au désespoir, se réfugient dans cet univers idéalisé, cherchant à fuir leurs propres tourments.

Mais aussi manipulation des masses (ce soft power si mortifère): R. Gautier utilise Disney comme un exemple de la façon dont les industries culturelles peuvent manipuler les masses, en leur offrant des illusions et en les détournant de la réalité.

Il faut se souvenir ici que le père de Mickey Mouse eut – jusqu’en 1941 – une attitude complaisante envers le régime hitlérien. En 1937, son frère Roy rencontre à Berlin Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande d’Hitler, pour la promotion de Blanche Neige – que le Führer va adorer. L’année suivante, c’est Walt en personne qui accueille la cinéaste d’Hitler, Leni Riefenstahl, quelques jours seulement après les terribles pogroms de la Nuit de cristal, alors que tout Hollywood tourne le dos à l’Allemande. Fin 1941, changement de ton : les Etats-Unis ont rejoint les Alliés. Une partie des studios sert de dépôt d’armes et des dessins animés de propagande sont produits pour l’armée. Dans « Der Fuehrer’s Face », sorti en 1943, on voit Donald cauchemarder qu’il vit sous le joug du IIIe Reich. Toute une Amérique pro Nazi (Lindberg, Ford…) avait alors remisé ses exemplaires de Mein kampf, et entrait en guerre imaginaire avec le Ducktateur.

Der Fuehrer’s Face 1943

L’univers Disney est autopsié comme symbole de la façon dont le pouvoir peut utiliser les rêves et les fantasmes pour contrôler les individus. À ce niveau, on constate à quel point la guerre culturelle qui fait rage actuellement aux États-Unis d’Amérique se cristallise sur des enjeux civilisationnels de représentation. La matrice culturelle et imaginaire Disney se trouve tout naturellement au cœur de ces enjeux, au point d’en être terriblement fragilisé.

La pièce met en parallèle l’essor de Disney pendant la Grande Dépression et la montée du nazisme, soulignant les similitudes entre ces deux phénomènes. Les deux empires se regardent, se rejettent et s’attirent dans un télescopage historique. A l’heure où un nouveau Donald semble avoir une pente à la Ducktature, secondé par un Elon Musk arborant le salut nazi (qui comme Ford après ses écrits antisémites, subit une chute de ses ventes de voitures !) , cela résonne avec un arrière-gout d’inquiétante étrangeté. Mais une fois de plus « There is no busineSS like show busineSS », »Show Musk go on » !

Raphaël Gautier, avec une écriture au scalpel, dissèque les mécanismes de pouvoir, les compromissions, qui s’alimentent de cette grande dépression collective plutôt que d’en soigner les véritables causes.  Il dresse un portrait sans concession d’une époque où les valeurs se sont inversées.

Mais « La Grande dépression », au-delà de la critique politique, explore les méandres de l’âme humaine, les traumatismes enfouis, les névroses refoulées. C’est une plongée dans les abysses de l’âme humaine. Aymeline Alix, avec une sensibilité à fleur de peau, explore les méandres de l’inconscient, les blessures de l’enfance, les traumatismes qui hantent nos nuits.

Le personnage principal, magnifiquement interprété par Stanislas Roquette, tel un funambule sur le fil de la folie, se débat avec ses angoisses, ses peurs, ses désirs écrasés.

La pièce, avec une approche psychanalytique subtile nous invite à une introspection douloureuse, mais nécessaire, pour comprendre les raisons de notre mal-être, ce ce grand « Malaise dans la civilisation » que Sigmund Freud avait froidement diagnostiqué dès 1930.

Les comédiens, avec une intensité bouleversante, incarnent ces êtres en souffrance, ces âmes meurtries. Ils nous offrent une performance d’une rare justesse, nous plongeant au cœur de leurs tourments, de leurs contradictions, de leur vacuité.

DR R. Bertereau
DR R. Bertereau

« La Grande dépression » n’est pas un spectacle facile, il nous bouscule, nous dérange, nous bouleverse. Il nous secoue, nous bouleverse, nous interroge. Il nous confronte à nos propres abîmes, mais toujours avec des sursauts d’humour, plus salvateurs qu’une prescription d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques..

La pièce, avec une force poétique et une violence contenue,  nous interroge sur notre rapport à la fabrique des mythes modernes qui nous structurent, mais aussi sur notre responsabilité face à ce pseudo monde qui nous aveugle. Il s’agit ici de braquer une lumière crue sur la puissance de ces écrans qui font écran contre la réalité. Il s’agit de réfléchir au regard que nous portons, puisse-t-il ne pas être hypnotisé, mais critique. Mais elle est aussi porteuse d’espoir, d’une lueur fragile qui scintille dans l’obscurité.

Aymeline Alix, nous offre un spectacle d’une rare intensité. Elle nous rappelle que le théâtre est un lieu de catharsis, un espace où les émotions se libèrent, où les âmes se dévoilent, et les faux-semblants peuvent tomber. Un espace où le tragique de notre société a droit de cité.

 

Texte Raphaël Gautier

Mise en scène Aymeline Alix

avec Chadia Amajod, James Borniche, Christian Cloarec, Nathan Gabily, Agnès Proust, Stanislas Roquette

collaboration artistique Pauline Devinat dramaturgie Lillah Vial musique Nathan Gabily scénographie Fanny Laplane lumières Alban Sauvé costumes Pauline Juille régie générale et régie lumière Félix Lecloarec régie son Thomas Pattegay

https://www.la-tempete.fr/saison/2024-2025/spectacles/la-grande-depression-735

 

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