« On m’a trouvée grandie. » 14:20 / Valentine Losseau

Conception, dramaturgie et direction artistique Valentine Losseau

Mise en scène et magie Valentine Losseau et Raphaël Navarro

« En 1896, à l’hôpital de la Salpêtrière, l’intérêt du psychiatre et philosophe Pierre Janet est attiré par l’arrivée d’une singulière patiente qui ne marche que sur la pointe des pieds, témoigne de lévitation et d’extase mystique. Son nom : Pauline Lair-Lamotte. Cette figure constituera pour Janet, sous le nom de « Madeleine », un objet d’observation et d’expérience durant durant les années de son internement. »

Il n’est pas simple d’aborder la critique d’un tel spectacle. Nous savons bien en abordant cette tâche que ce que l’on pourra dire d’une œuvre aussi exceptionnelle restera forcement très en dessous de tout ce qui pourrait en être dit pour lui rendre suffisamment hommage.

Tout d’abord il faut dire à quel point tous les choix artistiques choisis pour représenter le « mystère du cas Madeleine » (et à travers elle le mystère de ces femmes dites « hystériques » et le sort que leur réserva le XIXem siècle finissant) sont non seulement justes et cohérents, mais surtout transcendants.

Les manifestations hystériques, « conversions », ne sont jamais exposées comme telles : c’est-à-dire dans un essai de reproduction pseudo clinique. Valentine Losseau échappe d’emblée au piège cinématographique propre aux biopics. Elle fait le choix de ne pas les faire jouer de « manière hystérique », c’est à dire par une incarnation, par une identification à un modèle original ( Cf. l’école de Lee Strasberg, dont l’archétype de réussite se trouve chez un Daniel D Lewis dans « My Left Foot » de Jim Sheridan, reproduisant la paralysie spasmodique de son modèle à la perfection, mais non sans obscénité).

c MATHIEU ZAZZO

Valentine Losseau fait le choix de la chorégraphie, signée et interprétée par Leïla Ka. Ce passage par la poétisation du geste se révèle bien plus fidèle à l’âme même du symptôme hystérique. Comme l’écrit Monique David–Ménard (l’hystérique entre Freud et Lacan), le symptôme de conversion hystérique est « une métaphore écrasée sur des mouvements qui figent et isolent le jeu des signifiants. » Répétition figée d’un geste, maniérisme gestuel raphaëlique, suspension des corps allant jusqu’à partir en fumée…

L’hystérie est élevée à la dignité d’une conversion artistique.

C’est que symptomatologie psychosomatique de l’hystérie à tout à voir avec la mise en scène, la poésie, et bien sûr le théâtre. L’Hystérique donne à voir, se donne à voir, tout en étant aveugle à elle-même, absente à son propre corps. En voie de disparition. Tous ces vécus d’irréalisation sont magnifiquement transcrits sur le plateau par les moyens de la magie nouvelle dont Valentine Losseau et la grande pionnière.

Freud, une fois passée la fascination, et l’admiration pour Charcot dans sa pratique des présentations de malades de la Pitié-Salpêtrière (qui faisait tous les mardis salle pleine et où accourait le tout-Paris comme au spectacle. ) se mis au travail d’une élaboration conceptuelle :

« L’identification constitue un moment fort important du mécanisme du symptôme hystérique ; grâce à cette voie, les malades arrivent à exprimer dans leurs symptômes les expériences d’une grande série de personnes et pas seulement les leurs, de même qu’ils souffrent pour toute une foule de gens et (re)présentent par leurs propres moyens tous les rôles d’une scène dramatique. » (Freud, l’ interprétation des rêves, 1900)

Toujours prise dans le regard de l’autre, le psychiatre entre autres, jusqu’à la dépossession, l‘hystérique se fait support, surface sensible, sur laquelle s’imprime tous les fantasmes. Freud souligne à quel point ce mécanisme pathologique, proche de la catharsis, fait du corps de l’hystérique le théâtre de toutes les projections.

c Anka Zhuravleva

Cette relation interprétation, d’identification, d’introspection/projection, est particulièrement bien figurée. Par exemple dans la relation d’identification entre les femmes sur scène, où un geste migre, se transmet par contagion à tout un groupe devenant spasmodique. Par exemple aussi dans le face-à-face spéculaire entre le psychiatre et ses patientes, où les reflets magiquement se troublent, se confondent, s’inversent.

Freud caractérisait le mécanisme de cette identification par le terme allemand darstellung (présentation, figuration, présentification). L’opposant aux mécanismes de la vorstellung (représentation, mise en signifiant) plus proche de symbolisation langagière et de la métaphore. Valentine Losseau opte pour une hybridation entre figuration plastique et métaphore poétique, oscillant sans cesse et de manière hypnotique entre l’une et l’autre. La question de l’hypnose et de l’onirisme, également centrale dans la problématique hystérique, est omniprésente dans le spectacle. En refusant d’aborder son sujet sous un angle purement scientifique et objectivant, elle ne tranche pas la question du rapport à la réalité. Elle laisse ouverte la béance hystérique, jusqu’au miracle, toujours possible, et la disparition toujours imminente.

Mais les créateurs n’ont pas voulu céder au « tout image » et aux risques d’une simple fascination du public, forcément abêtissante. D’où l’importance du texte d’Yvain Juillard, Valentine Losseau, et David Murgia. Un texte d’une beauté et d’une intelligence poétique rares. Ainsi le personnage de « malade » joué par David Murgia avec autant de maestria que d’émotions, énonce un texte troublant de vérité. Ce texte, par ses concaténations, répétitions, condensations… est le pendant indispensable d’un symptôme hystérique verbal, vis-à-vis des conversions somatiques. De plus, le faire jouer par un comédien permet de faire taire l’idée reçue selon laquelle l’hystérie ne serait qu’une problématique de femme.

Progressivement, nous ne savons plus nous-mêmes de quel côté du miroir nous nous trouvons. Sommes-nous spectateurs/psychiatres assistant à une présentation de malades, ou bien devenons-nous insensiblement, nous aussi, des surfaces sensibles, des plaques photographiques, des corps impressionnés ? Dans le noir de la salle, nous aussi nous disparaissons, et ne finissons nous pas, sur la pointe des pieds, par échapper à la gravité, à notre corps ?

Puisque, fondamentalement «Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. » William Shakespeare / La tempête

Conception, dramaturgie et direction artistique Valentine Losseau

Mise en scène et magie Valentine Losseau et Raphaël Navarro

Conception, dramaturgie et direction artistique Valentine Losseau Mise en scène et magie Valentine Losseau et Raphaël Navarro Avec Yvain Juillard, Leïla Ka, Delphine Lanson, David Murgia, Florence Peyrard Et la présence de Marco Bataille-Testu, Marine Bragard, Ayelén Cantini, Thierry Debroas, Théo Jourdainne et Jessica Williams Texte Yvain Juillard, Valentine Losseau, David Murgia Texte additionnel Mâkhi Xenakis Chorégraphie Leïla Ka Écriture corporelle Leïla Ka, Delphine Lanson, Florence Peyrard
Scénographie Benjamin Gabrié Lumière Valentine Losseau et Maureen Sizun Vom Dorp Costumes Siegrid Petit-Imbert Régie générale et plateau Marine Bragard Régie lumière Maureen Sizun Vom Dorp
Régie spéciale et topeur Camille Gateau Régie son Clément Netzer Régie shadow et régie plateau Marco Bataille-Testu Régie plateau Marine Bragard, Ayelén Cantini, Thierry Debroas, Théo Jourdainne, Jessica Williams Construction accessoires William Defresne Ingénierie technique Benjamin Gabrié Soutien en ingénierie technique Mickaël Marchadier

14:20 / VALENTINE LOSSEAU

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