TRISSOTIN OU LES FEMMES SAVANTES


« Trissotin ou les Femmes savantes » arrive à Paris auréolé du succès critique et populaire qu’il a reçu au Théâtre de la Criée de Marseille.

Il y a  beaucoup à écrire sur la mise en scène de Macha Makeïeff : son coté pop/vintage, son choix d’un dessin des personnages très « ligne claire » tendance Hergé (la tante amoureuse délirante est définitivement un hybride de la Castafiore et du professeur Tournesol!) ; la profusion des accessoires drolatiques (la Makeïeff touch!, téléphone qui crachouille un son inaudible, expériences loufoques…) ; la superposition des scénettes donnant le tournis au spectateur sur ce qu’il faut choisir de voir ou d’entendre (Jacques Tati n’est pas loin non plus).  Il faut ajouter aussi la volonté du rythme, de la couleur, et de la musicalité (dans la gestuelle comme dans diction). Bref il y a un monde Makeievien, que certains critiquent pour son aspect obsédant, mais que la plupart adore, comme on adore entrer dans l’univers codifié et repérable d’un créateur. Mais ce n’est pas sur la mise en scène que je souhaite insister : elle comporte du connu, comme du renouvelé, mais bien sur l’interprétation qui ne doit surtout pas être considérée avec un moindre intérêt.

Cette pièce est particulière dans le répertoire de Molière. C’est une pièce de troupe. Elle comporte donc les avantages de ses inconvénients. Pas de personnage central, et donc pas de perspective directrice, pas de point de fuite où convergent tous les enjeux dramaturgiques. D’où un effet d’éparpillement, d’ailleurs très contemporain des enjeux scénaristiques actuels (séries, films chorales, création à partir du plateau…) Chacun peut donc y choisir son personnage, et son comédien, favori. Chrysale, le père falot, essentiellement épris de tranquilité et dépossédé de son pouvoir patriarcal par horreur du conflit ? Il est joué par Vincent Winterhalter, campé avec grâce, dans une ondulation de la mèche, un pas de danse, une voix assurée qui s’effrite à l’abord de l’obstacle matrimonial. Il est léger comme un Mastroianni, toujours élégant dans la défaillance. Philaminte, sa femme , walkyrie des sciences et humanités, qui déborde et fulmine plus encore que ses expériences ? Marie-Armelle Deguy sait lui donner ce côté tourbillonnant et insupportable sans la rendre agaçante. Magnifique scène au micro de revendications d’une place égalitaire et légitime pour l’intelligence des femmes. Ou bien serait-ce Trissotin le personnage principal ? (Macha Makeieff, n’en fait-elle pas un rôle titre ?) Geoffroy Rondeau est ce Tartuffe miniature, inquisiteur du bon goût et gourou de la dialectique savante. Il fait de sa préciosité une féminité assumé , à la Conchita Wurst pour le look, qui se révèle n’être que le masque d’une sève virile pleine de luxure. Scène magnifique d’intimité et de violence perverse entre Trissotin et Henriette (Vanessa Fonte). Les plus jeunes pourront élir le couple de jeunes premiers aux amours contrariées ( Henriette et Clitandre, Ivan Ludlow) joué avec beaucoup de modernité et autant de respect du texte. Leur duo ici est bien plus consistant que celui des tourtereaux du Tartuffe. Sans oublier une mention particulière à la scène d’affrontement entre Trissotin et son rival dans l’élite des pédants, Vadius, où Pascal Ternisien explose littéralement de génie comique dans une prestation qui est un sommet de maîtrise folle.

Ce choix sera « quoi qu’on dit » le bon, tant c’est un spectacle à entrées multiples et talents multiples !

Oui cette pièce là correspond bien à cette metteuse en scène là ! Foisonnement, luxuriance et jubilation, d’un théâtre généreux, où le trop-plein est la juste mesure.

Une pièce avec du monde, pour tout le monde !

 

 

 

photos Loll Willems

de Molière
mise en scène, décor et costumes Macha Makeïeff
Avec Marie-Armelle Deguy, Arthur Deschamps, Karyll Elgrichi en alternance avec Louise Rebillaud, Caroline Espargilière, Vanessa Fonte, Arthur Igual en alternance avec Philippe Fenwick, Valentin Johner, Jeanne-Marie Levy en alternance avec Anna Steiger, Ivan Ludlow, Geoffroy Rondeau, Pascal Ternisien, Vincent Winterhalter

lumières Jean Bellorini son Xavier Jacquot
coiffures et maquillage Cécile Kretschmar arrangements musicaux Macha Makeïeff, Jean Bellorini
assistante à la scénographie et accessoires Margot Clavières
construction d’accessoires Patrice Ynesta
Régisseur général André Neri

Du 16/04/2019 au 10/05/2019
La Scala 13 boulevard de Strasbourg – 75010 PARIS


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