LE MISANTHROPE

Texte de Molière

Mise en scène: Philippe Ferran

En attendant Célimène, une jeune coquette de vingt ans dont il est amoureux, Alceste débat avec son ami Philinte sur l’hypocrisie de la société. Nos deux amis conversent dans la cuisine-salon d’une « co-loc » de laquelle tous les protagonistes de la pièce semblent les familiers. Les personnages de la comédie classique, telle Eliante, la cousine de Célimène, ou Arsinoé, l’amie supposée mais hypocrite et surtout jalouse car amoureuse d’Alceste, les futiles petits marquis, Acaste et Clitandre, ainsi qu’Oronte, faiseur de mauvais vers, passent et repassent dans ce lieu central pour s’approvisionner dans le frigo, faire le café, décrocher leur écharpe du porte-manteau, ou pousser le vélo dehors. La porte extérieure de l’appartement, située au fond de la cuisine à côté du frigo donne en effet directement sur la rue… dans la fiction mais aussi en réalité. Les comédiens sont ainsi exposés aux éventuels fâcheux de passage ; un risque qui ajoute son piquant au spectacle de cette œuvre sortie des gonds classiques, le frisson du spectacle vivant, celui du rapport particulier reliant les comédiens au public, souriant, complice, des nouvelles diffusées en direct par la radio posée sur le frigo. 

Cette translation de l’action du Misanthrope de Molière où la belle Célimène, une jeune femme qu’on imagine du meilleur monde, reçoit dans son salon ses courtisans vers la cuisine au décor fruste d’un appartement communautaire apparaît d’abord comme surprenante. Le comportement de ces colocs, qui font bien sûr comme chez eux, se heurte parfois au texte de Molière, exprimant nettement que Célimène reçoit. Cependant, la proposition, très claire, est immédiatement comprise du public et l’idée, si elle est peut-être poussée un peu loin  (tous les personnages doivent-ils en être, notamment Oronte et Arsinoé dont l’âge et le standing les démarquent?), offre des appuis de jeu intéressants quand, par exemple, un personnage dont on discute, surgit justement dans la cuisine, jovial ou mécontent. 

Mais surtout, cette colocation héberge des bobos et des artistes: Alceste nous est présenté comme un écrivain, accroché à son clavier (qui ne semble ni très productif ni en réussite), et Célimène comme une photographe. Dans son jusqu’auboutisme victimaire et orgueilleux (qu’importe s’il perd son procès!) de l’artiste incompris et brouillé avec le genre humain, les fulminations d’Alceste contre la société prennent alors un tour saisissant. 

Autre idée particulièrement pertinente: l’accent mis sur les technologies de la communication. Le téléphone portable est omniprésent, qu’il serve à une conférence téléphonique ou comme interphone pour annoncer l’entrée d’un personnage. C’est toute l’actualité de la pièce qui saute aux yeux! Aux hypocrisies dont se plaint avec véhémence Alceste correspond la bonne humeur obligée affichée sur les réseaux sociaux d’aujourd’hui ainsi que les “j’aime” et les smiley que nous sommes sommés d’attribuer aux “amis” (puisque Facebook ne montre pas tout et qu’il faut bien indiquer ses préférences à l’algorithme). On sait que les réseaux sociaux ne sont pas un lieu de débat mais une bulle où, loin de “limer sa cervelle contre celle d’autrui” l’on conforte ses opinions, accentuant l’enfermement dans ses certitudes. Au pays du sourire, où chacun surveille sa popularité, la critique, et surtout l’ironie, sont malvenues.  Et que dire du risque, auquel nous sentons bien que nous sommes tous potentiellement exposés, de voir l’erreur d’un moment photographiée ou filmée, exposée à la vindicte sur les réseaux dans un emballement médiatique incontrôlable. La fameuse scène où Célimène, la photographe (et elle ne se prive pas de mitrailler qui lui chante), croque malignement les uns et les autres fait frémir. 

De bons jeux d’acteurs au service d’une pièce toujours actuelle !!  Ces œuvres-là traversent les époques, tel le poème du moyen-âge qu’Alceste oppose aux mauvais vers d’Oronte et qu’on retrouve chanté par Brassens en lever de rideau.

Auteur : Molière
Artistes : Mona Bausson, Philippe Colin, Fanny Heurguier, Thibault Infante, Adrien Lefebure, Stephan Ropert, Fanny Sutterlin, Patricia Varnay
Metteur en scène : Philippe Ferran

Représentations du samedi 1 février 2020 au dimanche 8 mars 2020.
Théatre Darius Milhaud.  80, allée Darius Milhaud 75019 Paris

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