L’Heureux Tour

Auteur et interprète: Jean-François Balerdi

« L’heureux tour « ! Le titre parlera aux amateurs du genre, celui des jeux de mots puisque c’est la veine que cultive Jean-François Balerdi depuis toujours. Et s’il nous annonce son « comic out », c’est parce qu’il s’agit d’une première au festival d’Avignon, « le plus grand théâtre du monde » (dixit les organisateurs du OFF). Dans son Sud-Ouest, les facéties verbales du personnage sont déjà bien connues. C’est aussi parce qu’aucune version DVD de son spectacle n’est éditée ; courez le voir, c’est sur scène qu’il déballe tout.

Et il est heureux, donc, Balerdi. Heureux, lui « qui « se soigne par les planches », de retrouver le public après l’interruption du Covid auquel un texte est d’ailleurs habilement consacré. Les jeux de mots de Balerdi dépassent en effet le choc sonore des circonstances ; porteurs de sens, faiseurs d’images, ils participent à la construction d’une histoire. Le principe: détourner les semences d’un champ lexical pour les cultiver dans un autre. Dans sa version de la longue histoire de l’Homo-sapiens avec la terre par exemple, il file de bout en bout la métaphore d’un passager de la « Planète-Airlines ».

Balerdi nous parle avec finesse des thèmes qui le touchent : le racisme par exemple avec un premier texte sur le racisme (« Racines ») où il est question d’arbres jaloux de leur nouveau voisinage exotique. Il nous raconte son parcours, sa passion du théâtre en passant par quelques hommages aux humoristes qui l’ont inspiré, révérence appuyée aux grands de la scène française… et plus subtile (sous la forme de clins d’oeil langagiers aux québecois) envers son maître en jeu de mots : Marc Favreau, figure éminente qui hante encore la scène québecoise avec son personnage de Sol.

Abondance de mots ne nuit pas : les pirouettes verbales sont nombreuses et il faut les saisir. Tous les spectateurs ne rient pas aux mêmes endroits. Mais tous rient, ou sourient.

  • Auteur et interprète(s) : Jean-François Balerdi
  • Régisseur : Pipo Guillet
  • Regard extérieur : Patrick Moglia

Au théatre Albatros (29, rue des Teinturiers 84000 – Avignon)
Du 6 au 30 juillet à 12h45 – Relâches : 12, 19, 26 juillet 

 

 

 

 

1H22 AVANT LA FIN

Texte de Matthieu Delaporte
Mise en scène Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière

Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière reviennent ! Les auteurs à succès du « Prénom », offrent à la Scala un nouveau petit bijou de comédie aux dialogues et à l’intrigue ciselés.

Le personnage de Bertrand (Kyan Khojandi) , se définissant comme une sorte de Gatsby le Magnifique inversé est au bout de sa vie et de sa tristesse. Il va enjamber son balcon, pour se jeter dix mètres plus bas sur le sol ; quand un importun frappe à la porte… Armé d’un pistolet cet étrange visiteur (Eric Elmosnino)… déclare venir pour le tuer, rendant dès lors le suicide compliqué à réussir…

Les auteurs ont donc décidé de plonger leur plume comique dans l’encre sombre et acide de l’humour noir, et parfois même inquiétant. Il s’agit d’un face-à-face où la réelle identité de chacun des protagonistes, ainsi que leurs intentions, connaîtra des révélations surprenantes, ouvrant alors l’histoire à un niveau presque philosophique, sans jamais perdre son objectif, le rire.

Ils naviguent ainsi entre deux univers. La comédie noire à la Bertrand Blier (un hommage est-il fait d’ailleurs via le prénom du héros ?), dont Eric Elmosnino semble sortir tout droit avec son manteau de laine grise qui fait furieusement penser à celui de Gérard Depardieu dans « Buffet froid », d’une part. La comédie fantastique à la Lubitsch, d’autre part, et l’on pense fortement à « Le ciel peut attendre ». Mais chut…

 

Kyan Khojandi, Eric Elmosnino (Dr P Gély)

 

Dans une scénographie élégante de Marie Cheminal, il faut reconnaître qu’Eric Elmosnino remporte le duel du plateau. Il trimballe une létalité goguenarde, traînante et désabusée, menaçante et amicale à la fois. Il nuance ses effets et rend crédible les facettes les plus étonnantes de son personnage, le faisant naviguer entre étrangeté et bonhommie mélancolique.

La salle réagit de manière unanime à la pièce, par des rires et des sourires nombreux. Ce n’est pas forcément l’éclat de rire qui est recherché par Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, et il n’y a ni crescendo ni situation paroxystique visant à déclencher une hilarité massive.

Ils réussissent une comédie douce amère, qui ravit une salle comble et généreuse en applaudissements.

 

 

Texte de Matthieu Delaporte
Mise en scène Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière
Avec Kyan Khojandi, Eric Elmosnino, Adèle Simphal
Scénographie – Marie Cheminal
Régisseur général – François Hubert
Lumières – Laurent Béal Didier Brun
Costumes – Anne Schotte
Construction Décor – Romain Scrive et Arthur Lamon 
Assistante – Léa Moussy
Assistante scénographie – Stéphanie Laurent
Assistant lumière – Didier Brun

Au Théâtre La Scala Paris à partir du 27 janvier du mardi au samedi à 21h, les dimanches à 15h.

https://lascala-paris.com/programmation/1h22-avant-la-fin/

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC

Comédie Molière

Mise en scène : Anna Cottis

 

“Huitième comédie ballet de Molière, Monsieur de Pourceaugnac a été créée et représentée le 6 octobre 1669 pour la première fois à Chambord pour le divertissement de Louis XIV à l’occasion d’une fête de chasse. La musique pour cette comédie ballet en trois actes a été écrite par Lully et les danses orchestrées par Beauchamp.” Voilà pour la grande histoire, quant à l’intrigue, elle est simple et classique : un père préfère à Eraste  l’amoureux de sa fille Julie,  la fortune d’un provincial du Limousin Monsieur de Pourceaugnac. Mais bien entendu  nos amoureux feront tout pour sauver leur union. Ceci  en faisant appel à des figures des bas fond tout droit tirées de la comédie italienne, l’ingénieuse Nérine et le fourbe Sbrigani qui ne se gênent pas pour singer les notables pour mettre à bas le choix du père.

Nul orchestre où ballet pour servir cette  pièce non politiquement correcte aujourd’hui comme hier mais le  chant polyphonique,une  guitare,le rap et l’interactivité avec le public  pour se substituer aux mélopées baroques  de Lully et à la pompe de la cour de Louis XIV.

Une actualisation qui a garder la verdeur de ses attaques  à cette pièce politique car force est de constater l’originalité de cette dramaturgie dans laquelle Molière  se sert de ses héros pour dénoncer l’idiotie et la fourberie des puissants, la ruse et l’abus de pouvoir des gens en place, médecins, notaires, créanciers …

Nous voilà en selle prêt à rire des ruades de ce cheval fou, ce théâtre dans le théâtre, cette folle machination qui a pour mission de désarçonner notre  provincial dans un tourbillon d’inventions aussi fantasques qu’hilarantes.

Au-delà de la thématique amoureuse et de la critique des mariages arrangés, cette pièce n’est-elle pas une exploration de  la folie de celui qui abdique son libre arbitre lorsqu’il se trouve en terre inconnue, ballotté  de droite et de gauche par l’opinion des savants, des gens en place et de la rumeur qui enfle  ? Au-delà de la farce, Monsieur de Pourceaugnac distille une critique acerbe de la médecine de son époque qui n’est pas sans rappeler la nôtre avec ses protocoles hasardeux et les expérimentations du big pharma  sur des patients devenus  cobayes malgré eux.

La mise en scène d’Anna Cotis nous plonge dans un univers en lévitation avec une esthétique intemporel qui relève plutôt de la théâtralité pure avec ses masques et ses décors symboliques. Ici un univers situé entre le monde de l’enfance où le castelet du théâtre laisse surgir d’inquiétant chirurgien du corps et de l’âme et celui de l’adolescence avec ses provocations musicales, son rap pourfendeur et son insolence irrévérencieuse que permet le théâtre masqué et son animalité aux accents libidineux qui sait réveiller le rire de l’enfance.

Une équipe de comédiens et de comédiennes dont l’éventail des talents ne se limite pas au jeu car ici ça joue, ça chante avec truculence  … deux femmes et deux hommes pour interpréter une multitude de rôles qui font de cette mini production une super  production qui explose le cadre intime de la comédie saint Michel.

Mise en scène : Anna Cottis
Avec: Erwan Bineau, Agathe Boudrières, Marco Del Nero, Thibaut Kizirian, Claire Mathaut, Mélanie Surian, Marie Surrel, José-Luis Vivallo.

du samedi 16 octobre 2021 au dimanche 2 janvier 2022
à la Comédie Saint-Michel (95, Boulevard Saint-Michel, 75005 Paris)

Monsieur de Pourceaugnac